dimanche 30 mars 2008

Le taux d’intérêt de la presse


Le Wall Street Journal n'était pas encore acheté par News Corp., à l'automne 2007, que l'on trompetait déjà que la partie payante du site (plus d’un million d’abonnés) serait bientôt gratuite. Début janvier 2008, marche arrière : elle reste payante et plus chère (119 $, et 59 $ pour les abonnés à la version papier- écart qui laisse présumer de la valeur ajoutée de l'édition en ligne). On annonce des extensions gratuites (sport, politique politicienne, etc.), des ouvertures au gratuit (opinion, interviews vidéo, éditoriaux), peu importe, le modèle économique mixte reste en place. 
Quel raisonnement préside à ce revirement, outre le bon sens gestionnaire puisqu'un modèle mixte est moins vulnérable aux aléas du marché publicitaire ? Abordons plutôt la question sous l'angle du mediaplanning.

Le payant est doublement payant : il est signe d’un meilleur taux d’intérêt des lecteurs, d’où la valeur primordiale accordée en mediaplanning à la Diffusion Payée). La Diffusion Payée situe un lectorat primaire (qu'il faudrait plutôt appeler "premier", comme "primary"), qui a décidé de lire, et pour cela, d’acheter. Les lecteurs qui paient ne sont ni des lecteurs «en passant» ni surtout des passants qui lisent ; ils ne sont pas de ceux que Nietzsche appelait "les oisifs lisants" (je traduis littéralement "die lesenden Müßiggänger", que d'autres traduisent "ceux qui lisent en badauds"). Lecteurs engagés. Coeur de cible que recherchent annonceurs et mediaplanners, car il garantit la justesse de l’achat média.
Faire payer les lecteurs, leur proposer des contenus dont ils ont besoin, c’est les convaincre d’investir (les lecteurs mettent leur argent où il voient leur intérêt, il font, dans les deux sens de l’expression, crédit au média, crédit renouvelé, numéro après numéro). C’est aussi assurer une valeur supérieure à ces lectures et aux espaces publicitaires qu’elles découvrent. De plus, quand les lecteurs sont abonnés, il ont confié au titre des informations pertinentes que la régie peut utiliser (opt-in) pour leur proposer en plus des informations commerciales adéquates.
Cercle vertueux : le payant est payant car le payant valorise l’espace publicitaire.

Pour instruire plus avant cette affaire, prêtons attention à une décision récente de l’organisme d’audit de la presse américaine, ABC (Audit Bureau of Circulation, équivalent européen de l’OJD). L’ABC a décidé que sera considéré comme contribuant à la Diffusion Payée (paid circulation, DFP en France), tout exemplaire acheté, quelle que soit la part du prix facial payé (c’est déjà la cas pour les magazines). Jusqu’à présent, un quotidien devait indiquer pour le rapport d'audit la part des exemplaires payés au moins 50% de leur prix facial et la part entre 25 et 50%. A cela s’ajoutent d’autres modifications ; n’entrons pas dans les détails : retenons que la notion de payant s’étend notamment à des exemplaires que le lecteur obtient gratuitement (grâce aux compagnies aériennes, aux hôtels, aux cabinets médicaux, etc.).

C’est ainsi qu’une notion claire pour le mediaplanning, précise, qui différentiait la presse que l’on prend et que l’on paie de celle que l’on vous met en mains, s’évanouit. On a dissocié le paiement de la lecture. D'autres notions techniques indispensables chavirent en cascade : taux de circulation, lectorat secondaire (pass-along readers)... Qui audite les auditeurs ?
Revenons encore au coût de transaction : peut-on affirmer que plus un lecteur accepte un coût de transaction élevé plus il est motivé ? Ainsi pourrait-on ordonner les lecteurs : d’abord celui qui se rend dans un point de vente presse, au jour et à l’heure de sortie du titre, paie et emporte son quotidien ou son magazine, puis celui qui s’abonne pour n’en manquer aucun, jusqu’à celui, enfin, lecteur d'occasion qui n’a rien demandé et à qui l’on met dans la main un titre et l’abandonne sur place, ou encore à celui qui le reçoit malgré lui dans sa boîte aux lettres. 
Entre ces extrêmes : Internet, car on paie l’abonnement global à un fournisseur d’accès, Internet qui demande que l’on recherche le titre ou l’article, et que parfois l’on paie en confiant ses coordonnées pour recevoir une information commerciale choisie (lectorat hautement qualifié).
Bien des notions que nous avons ânonnées méticuleusement en agences média et en régies se trouvent aujourd’hui chamboulées par les nouveaux modèles économiques des médias (le modèle mixte existe aussi en radio, TV, musique, etc.). Sur quelles études fondera-t-on les nouvelles notions ? Faut-il encore distinguer "achetorat" et "lectorat", selon quelle arithmétique les combiner ? Un beau chantier à ouvrir : réparation, construction.

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