lundi 19 mai 2008

Upfront TV buying

Le mois de mai, aux Etats-Unis, est le mois de la vente en avance de l’espace publicitaire national de la télévision (upfront market) . Les trois quarts de l’espace publicitaire des chaînes sont vendus à cette occasion, le reste étant vendu par trimestre (scatter market). Les grandes chaînes terrestres (networks : ABC, CBS, FOX, NBC, Univision principalement) qui ne vivent que de publicité mais aussi les dizaines de chaînes thématiques payantes (pay TV : MTV, NFL, History, A&E, ESPN, CNN, Fox News, Bravo, etc.) exposent leurs programmes et leurs produits publicitaires. Marché américain de 10 milliards de dollars, où se joue l’avenir des "House", "Desperate Housewives", "Grey ‘s Anatomy", "Ugly Betty" et de leurs successeurs. Donc marché au retentissement mondial. Marché suivi attentivement par les analystes financiers.

Cette année le marché vibre des répercussions de la grande grève des scénaristes de l’hiver (cf. notre post du 12 février), mais il esquisse aussi les grandes lignes de la télévision de l’ère numérique : car l’an prochain, le 17 février, toute la télévision terrestre américaine grand public aura accompli son digital switchover et sera numérique, à l’exception des toutes petites stations (Low Power TV -LPTV).

L’effet de la grève aura surdéterminé les contradictions de cette télévision en mutation, provoquant une sorte de laïcisation, de banalisation du média. A noter :

  • Régies télévision au train de vie plus modeste : moins de dépenses somptuaires pour présenter les programmes aux annonceurs et agences média ("no hoopla”).
  • Gestion plus serrée : moins de pilotes tournés pour donner à voir les grilles nouvelles.
  • Marché élargi à tous les supports de la télévision grand public qui prend en compte, en amont, avec Internet tous les autres supports de distribution : téléphonie mobile, VOD out-of-home (inégalement, important pour CBS, inexistant pour Fox). Victoire des grévistes qui réclamaient le paiement de TOUS les droits numériques
  • Marché uniforme. Voici la Grande Année télévisuelle : d’une année de 9 mois, la télévision passe à une année entière. Fini l’été télévisuel avec ses rediffusions (reruns) et ses audiences médiocres. On en rêvait depuis 20 ans !
  • Moins de pub, mieux évaluée ? Fox annonce un test d’émissions plus longues (passant de 44 à 50 mn) avec deux fois moins de publicité, pour favoriser ainsi une TV sans télécommande ("Remote Free TV") . ABC (groupe Disney) propose un “Advertising Value Index”, indice composite de 25 critères pour évaluer l'engagement et les réponses émotionnelles à la publicité multiplateforme. ESPN (groupe Disney) a mis en oeuvre des recherches sur l'efficacité publicitaire et le comportement interactif des téléspectateurs.
  • La télévision sur Internet souffre d'un déficit lancinant de création (on repasse souvent les mêmes créa sur le net que pour les grands écrans). Après les innovations technologiques, il est temps de passer à des créations originales, à des formats adéquats aux suports, qu'il s'agisse de publicité ou d'émissions.

A retenir pour la France ?

  • Cessons d’identifier la télévision à son mode de distribution terrestre et prenons en compte tous ses supports, toutes les réceptions, tous ses publics.
  • La multiplication des modes de distribution et de réception constitue un défi pour ce marché : comment mesurer et additionner à temps toutes ces audiences disparates.
  • L'été est-il encore une saison télévisuelle à part ?
  • Vendre, acheter de la publicité TV pose d'abord un problème stratégique. Au coeur des décisions : comment orchestrer le rôle de la TV dans un concert publicitaire que domine la culture Internet ?


mercredi 14 mai 2008

La radio à l’écoute de ses mesures

Comment mesurer l'audience de la radio ? Les modalités de consommation de la musique et des médias audio se multiplient (MP3, iTunes, téléphonie, Internet, Satellite radio, HD Radio, radio numérique. Cf ci-contre le linéaire "audio" d'une grande surface spécialisée américaine en 2007). La radio, qui tarde à passer massivement au numérique, ne sait plus à quelle méthodologie se vouer. Le bilan des orientations méthodologiques en cours n'est pas commode. Tentative.

Rajar abandonne le PPM (Portable People Meter) d’Arbitron pour mesurer la radio en Grande-Bretagne (Rajar, Radio Joint Audience Research, rassemble la BBC et les stations commerciales). Au Canada, en revanche, BBM Sondages l’adopte pour la télévision et la radio (association Arbitron / TNS) après 10 mois de tests au Québec.

Les Etats-Unis ont adopté le PPM pour la mesure de la radio (mais pas pour la TV), après des audits répétés du MRC, beaucoup de retard de Arbitron (au point qu’une class action est lancée par des actionnaires). Pour l'instant, l’accréditation a été accordée en radio pour Houston (Texas) mais refusée pour Philadelphie et New York : question de représentativité des panels. Rappel : contre toutes les prévisions des experts, la radio par satellite compte aux Etats-Unis 18 millions d'abonnés.

Au PPM, on reproche en Grande-Bretagne une sous-estimation (mon interprétation) de l’écoute au moment sacré du breakfast (prime time), et trop de difficultés pour épouser la complexité du marché radio anglais (NB : il faut que chaque station encode son signal à l’émission).

Aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, on bute diversement sur les modalités d’échantillonnage, liées à l’acceptation de l’appareil (respect de quotas, eux-mêmes discutables).

Depuis 2001, selon le quotidien The Guardian, Rajar aurait ainsi dépensé 3,5 millions de £ pour des tests en vue de remplacer ses 130 000 carnets d’écoute annuels. Aux dernières nouvelles, on pencherait pour un carnet d’écoute rempli en ligne (conçu par Nunwood Research). Carnet d’écoute en ligne qui a été abandonné aux Etats-Unis, en avril 2007, car le eDiary de Arbitron souffrait d’un taux de retour médiocre.

Plaisante justesse qu'un océan borne ! vérité au deçà de l'Atlantique, erreur au-delà.

En Grande-Bretagne, après sept ans de tests, on reprend tout à zéro, car tout a changé, les comportements d’écoute, les opérateurs, les programmes, les technologies de diffusion, les réglementations.

La vitesse de changement du marché est supérieure à la vitesse de mise en place des tests d’évaluation de ce marché. Voici une Proposition de la science nouvelle des médias numériques : le test est encore en cours que déjà son domaine d'application a changé. D'où les versions bêta et la "révolution permanente par étapes" qu'a définitivement instituées la culture Internet, toute en flexibilité, condamnée à l'ajustage sans fin et à la mesure continue. La mesure désormais doit faire partie du média, sinon elle est condamnée à lui courir après, toujours déjà en retard.

Comment s’y retrouver, on croirait assister à un lent et copieux raisonnement méthodologique par exhaustion ? Ne pourrait-on, au moins, imaginer une coopération internationale pour les tests : optimiser les durées et les budgets en fédérant et confrontant les compétences ?

mercredi 7 mai 2008

Couvertures cumulées

Nielsen Online a mis en place TotalWeb qui associe, pour un même site, la mesure de son audience sur PC et sur téléphone. Sans surprise, les premiers résultats montrent une augmentation de l’audience cumulée à au moins 1 contact (+13% en moyenne, +22% pour la météo dont +46% pour AccuWeather.com, mais +1% seulement pour le e-commerce, 2% pour les moteurs de recherche). AccuWeather ? Site de météo présent dans les services d'un grand nombre d'opérateurs mobiles.

La méthodologie de TotalWeb reste mystérieuse qui collecte des données auprès des mobinautes membres du MegaPanel de Nielsen Online et associe Nielsen Online et Nielsen Mobile. On aimerait en savoir plus... fusion ?

Conclusions provisoires :

  • Intégrer la mesure de l'Internet immobile et de l'Internet mobile devient indispensable pour rendre compte complètement de ce qui se passe sur Internet, d'autant que les nouveaux PDA accroissent la propension à la mobilité, qui deviendra de moins en moins marginale avec des ergonomies et des écrans plus favorables, mais aussi avec les forfaits "illimités" commercialisés par les opérateurs. L'effet iPhone (techologie multi-touch) sur l'usage de l'Internet mobile est déjà observable en Allemagne (selon la FAZ), en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, selon StatCounter.
  • Actuellement, aux Etats-Unis, seuls 14% des abonnés à la téléphonie mobile sont utilisateurs de l'Internet mobile (mobinautes). Imaginons l'ampleur du phénomène quand une première moitié de la population sera équipée, d'autant que ce seront sans doute les consommateurs les plus riches en capital économique, culturel et social.
  • La part de marché du support traditionnel dans l'ensemble pluri-support d'un même média est encore rétrécie par une mesure comme TotalWeb, rendant plus nécessaire aux groupes média la construction de l'audience de la marque, et plus délicate.
  • L'association Internet immobile + mobile n'est que la première des étapes d'une mesure multi-plateforme. Il faut ensuite intégrer cette mesure et celle du média traditionnel (presse, radio, TV, annuaires, etc.). Voilà pour la quantité et la distribution des contacts.
  • Puis il faudra dépasser le stade des additions pour en venir au qualitatif. Dans quel ordre, selon quel rythme orchestrer ces trois types de supports ; quelles créations sont appropriées à cette cascade publicitaire, quelles relations entre ces créations (charte graphico-sémiologique) ? Une sorte de topologie de l'articulation et de l'optimisation des médias est à construire.
  • Les annonceurs attendent sur ces points des programmes de tests, si possible audités (ce qui nous délivrerait de l'autocélébration coutumière), tests rendant compte de la logique du rendement des investissements publicitaires. Grâce à ses outils de tracking et d'évaluation du ROI, Internet est le seul média permettant la mise en oeuvre de protocoles d'expérimentation appropriés. Cela sera plus convaincant que des calculs de quantités de contacts bruts (GRP) et de répétition moyenne car, du point de vue de l'annonceur, la notion d'effective frequency converge vers le ROI (la notion de effective frequency fut mise en place par l'Association of National Advertisers (ANA) en 1979).
  • Les médias traditionnels sont le maillon faible de cette fusion en chaîne : il importe, à terme, qu'ils trouvent le moyen de tirer profit de "leurs" mots imprimés ou prononcés. Ces mots déjà numérisés sur Internet ou numérisables via speech-to-text, permettront que s'appliquent les outils de tracking lexicaux et sémantiques, de marketing comportemental au travers des trois types de support. Rappel : une chaîne vaut ce que vaut son maillon le plus faible.
  • En attendant, beaucoup d'acheteurs d'espace sur Internet peuvent au moins se dire qu'ils ont obtenu 10% d'espace gracieux sur le mobile (emplacement préférentiel) ! Au moins.

jeudi 1 mai 2008

L'espace et l'image de la presse







La presse a un problème d’image, et d'espace. Gratuite, elle déborde quotidiennement des poubelles du métro, s’entasse à l’entrée des universités. Piétinée, abandonnée sur place.
Dans les points de vente spécialisés, sur des linéaires souvent encombrés, des centaines de magazines s’empilent, attendant la relève et le chaland fouineur. Trop rares occasions de voir ! Malgré tous les efforts du réseau de vente (exemple : la "certification merchandising" des diffuseurs par les NMPP, en cours), une extraordinaire richesse reste méconnue, invisible. L’esprit de la loi Bichet (loi qui fonde le droit à la distribution depuis 1947) doit être mieux défendu : la liberté de la presse et de sa diffusion (son fameux Article 1), c’est aussi la capacité d’être vue et feuilletée avant d’être lue. Offrir impartialement des occasions de lire !
La presse a besoin d’espace pour être vue afin d'être lue. A-t-on déjà conduit des études Vu-Lu (ou plutôt Vu-Feuilleté) sur le point de vente pour les titres distribués ? A quoi rime le droit de distribuer sans le pouvoir d’exposer ? Et que l'on nous épargne le topo, fort suspect, sur une nécessaire réduction du nombre de titres distribués (à ne pas confondre avec le légitime "plafonnement des quantités"). Pour faire plus d’un heureux, il faut plus d’un journal !
Il arrive que la presse prenne toute sa dimension, que lui soit donnée l’occasion d'exposer sa profusion. Par exemple.
  • Premier cas. Quand la presse magazine est présentée dans l’environnement commercial qui lui convient. Affinité spatiale, logique : la presse maison et bricolage dans les magasins de bricolage et décoration, la presse de beauté dans les parfumeries, près des linéaires de maquillage, la presse de glisse dans les magasins vendant rollers et planches… Quelques titres seulement, voire tous les titres du secteur (et l’on retrouve l’esprit de la loi Bichet) mais dans un environnement favorable. Ciblage parfait qui ne peut que convaincre les annonceurs de ces titres, captifs ou non.
  • Deuxième cas. Quand la presse fait salon. Il est des lieux de détente, de rencontre et de socialisation où la presse trouve sa place, où elle est mise en valeur : certains cafés, par exemple. Où elle participe de l’attente, de la flânerie, de la rêverie. Où le lecteur qui feuillette est bien vu (N.B. l'audience qui "feuillette"dans le point de vente est prise en compte par les études de lectorat).
Voici (cf. photos en tête de ce post) deux illustrations américaines. Le News Cafe avec terrasse le long d’une grande rue passagère (Miami, Floride), et un café plus modeste dans un centre commercial (mall) de la même agglomération.
En revanche, photo ci-contre (prise aussi au téléphone, mal éclairée), l'avertissement donné aux clients d'un point de vente de l'Est de la France : sur l'affiche jaune, en haut du présentoir, on lit : "Réservés à la vente // Pas à la lecture".
Opposition édifiante de deux modes d'exposition.
On peut songer aux cabinets de lecture d’autrefois, « boutiques à lire » (cf. le beau travail de Françoise Parent-Lardeur, Lire à Paris au temps de Balzac). Mais, pour aujourd'hui, on devrait d'abord penser au renouvellement du marketing de la presse dans des points de vente qui pourraient être aussi des lieux de vie, d'aventure intellectuelle et de curiosité.
Dans le cadre de la réflexion sur l’évolution de la presse, les éditeurs et la distribution devraient repenser la publicité sur les points de vente et d'abord autour : à quoi riment ces affiches enchaînées devant le magasin (cf. photo de gauche au bas de ce post), inesthétiques voire vulgaires (on est sur le chemin d'écoles maternelle et primaire), que le point de vente se voit imposer contre une rémunération parfois humiliante (espace accordé par la mairie) ? Tout le merchandising doit être revisité par les nouvelles technologies. Par exemple, quelle place donner aux écrans dans cet univers (cf. tout au bas de ce post : un distributeur de presse quotidienne avec écran numérique, dans un point de vente près de Boston), comment optimiser la circulation des clients, les rapides et les flâneurs, quel rôle confier à la vitrine (en connaît-on l'efficacité ?), quelle place pour le Wi-Fi, quelle efficacité des linéaires, des présentoirs ?

Il faut des lieux efficaces pour des acheteurs pressés, décidés, et d’autres propices aux lectures rêveuses, heureuses, suscitant un achat d'impulsion lente. Des lieux mixtes aussi. La variété et la qualité des modes d'exposition sont une dimension de la liberté de la presse, liberté vécue au jour le jour. Elles constituent aussi une riposte dans la concurrence entre médias alors que la télévision s'apprête à la portabilité et s'infiltre dans tous les lieux de vie hors des domiciles (cf. notre post ci-dessous : "la télé n'est plus seulement au salon"). Elles participent enfin de l'ambiance de la ville et de la rue.