vendredi 29 août 2008

L'ère des médianautes

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Les annonceurs savent combien une association TV / Internet bien orchestrée par le plan média peut être multiplicatrice d'audience, pour chacun des deux médias. Chaque média sur son écran, simultanément parfois.
En revanche, marier TV et Internet sur un même écran relève d'une autre logique ; c'est une idée vieille... comme Internet. On se souviendra, par exemple, de TAK (Thomson, avec Microsoft) qui dès 1999 voulait, trop tôt, enrichir les émissions de télévision par des développements Internet sur l'écran du téléviseur (jeux, guide de programmes, etc.) [Voir la thèse consacrée à ce sujet et au "désir d'interactivité" soutenue en 2008 par Sandrine Bensadoun-Medioni et sa présentation au Séminaire Média de l'IREP en décembre 2004]. Une dizaine d'années plus tard, un projet semblable revient, rhabillé de pied en cap, soutenu par trois acteurs puissants du numérique :
  • Comcast, premier câblo-opérateur américain, apporte la set-top-box, tru2way. Au départ, se trouve donc un opérateur qui achemine télévision, VOD (FanCast compte plus de 3000 titres à télécharger) et Internet à plus de 25 millions de foyers d'abonnés.
  • Intel apporte le chip, “System-on-a-Chip”, SoC qui sera placé dans la set-top-box et, ultérieurement, dans le téléviseur même.
  • Yahoo! apporte la plateforme de développement de widgets. Le Widget Channel disposera les widgets dans un bandeau en bas d'écran, widgets "correspondant" à l'émission en cours (cf. illustration tirée du site de Intel). Les widgets donnent de la flexibilité et de la diversité aux propositions média. Dernier symptome de leur succès : les applis pour iPhone vendues dans la boutique App Store sur ITunes (on parle même d'"appliphilia"). Blockbuster, CBS Interactive, CinemaNow, Cinequest, Disney-ABC, eBay, NBC, Group M, Joost, MTV, Samsung Electronics, Schematic, Showtime, Toshiba, Twitter collaboreraient à la réalisation de widgets.

Dans un tel dispositif, la télévision épouse un modèle à la YouTube, où se mélangent télévision et Internet, où l'écran TV s'inscrit dans l'écran de l'ordinateur, encadré d'informations et de liens, où le moteur de recherche (IPG) est commun à Internet et à la télévision, aux sites et aux émissions, aux mots et aux images. Le téléspectateur fait place au médianaute.

Dans cette configuration, la télévision adopte enfin les outils marketing d'Internet et rentre dans le siècle. Les conséquences commerciales et publicitaires en sont formidables.
  • Pour le marketing des contenus et de la publicité. On pourra désormais comprendre le téléspectateur-internaute (médianaute) en le suivant d'une seule et même manière (cookies, tags, avec sa complicité) comme on le fait déjà sur Internet : ciblage et marketing comportemental. Une seule manière de travailler, de mesurer, qu'il s'agisse de consommation TV (linéaire ou VOD) ou de consommation Internet (streaming ou site marchand). Une seule console, des TV / webanalytics cohérents.
  • La mesure de l'audience prend en compte tout le numérique du foyer : les téléviseurs et leurs périphériques (consoles, lecteurs de DVD, DVR), les ordinateurs et leurs périphériques (lecteurs de musique), téléphones (fixes ou portables). On s'approche de manière réaliste du 360° que réclament les annonceurs.
  • Au lieu d'être passive, la mesure des audiences devient réactive, pour donner naissance à un marketing dynamique : ajuster sans délai une campagne en cours aux premiers  résultats observés, proposer des produits, suggérer des émissions, des sites, des coupons, des réductions, des opérations commerciales à la carte, des contributions, etc. La mesure de l'audience change de statut, d'objectifs, passant de la statistique descriptive à une mathématique de l'action.
Comcast ouvre la voie aux opérateurs / distributeurs multiplateforme, à toutes les entreprises qui proposent triple ou quadruple play, et notamment aux groupes de télécom, ses plus redoutables concurrents. Des changements s'en suivront, dont l'ampleur est encore difficile à imaginer :
  • Qui est le mieux placé pour assurer la régie publicitaire des widgets sinon l'opérateur multi-plateforme ?
  • Un nouveau métier de création (de widgets) pour les agences. Un nouveau marché aussi pour les développeurs, amateurs et professionnels. La création s'ouvre aux ingénieurs.
  • La question de l'encombrement (clutter) de l'écran déjà sensible, est exacerbée. Sans doute, les widgets doivent-ils être opt-in, l'installation personnalisable. Les médianautes prennent le pouvoir : ils voudront choisir et maîtriser les interruptions / interventions publicitaires.

jeudi 21 août 2008

Ego sum res googlans. Devoir de vacances

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Il n'est sérieuses vacances sans la corvée des devoirs de vacances. Suivant la règle, j'ai proposé à des futur(e)s apprenti(e)s philosophes de décrire, "à la manière de" Descartes, les modalités du penser de leur génération.
Au départ de l'exercice, une phrase de la Troisième des Méditations métaphysiques (1641) : "Je suis une chose qui pense [ego sum res cogitans], c'est à dire qui doute [id est dubitans], qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent" (d'après l'édition de Florence Khodoss, aux PUF).

Voici un énoncé synthétique de ces nouvelles "méditations cartésiennes" :
"Je suis une chose qui googlise [ego sum res googlans], c'est-a-dire une chose qui smartphone, qui facebook, qui SMS et smyleys, qui achète peu de choses, qui en télécharge beaucoup, qui wii-fit, qui blogue, qui MSN, qui bluetooth, et qui vit in the clouds".

Comment "ça" pense, cette "chose qui pense" ? Qui pense, les doigts sur des claviers, comme le joueur de luth a sa mémoire en ses mains, observait Descartes, justement. Un ensemble de réflexes a été acquis (copier, coller, zipper, chercher, partager, envoyer, glisser, pincer, cliquer, télécharger, synchroniser, noter, etc. Cf. Doc. 1, infra), actes de pensée auxquels correspondent des états de l'ordinateur ("states", Alan Turing), du téléphone, de la console... que les utilisateurs organisent en algorithmes de vie quotidienne, des habitudes. "Nos sens sont autant de touches", résumait René Crevel (1932). Notion à façonner, à mettre en chantier.
Toute pensée de ce type, instrumentée, configure par les instruments le penser et son expression. Comme la machine à écrire changea le style de Nietzsche (cf. les analyses de Friedrich Kittler), comme l'oral détermina le style de Socrate ou de Confucius (ce qu'il en reste, une fois passés à la moulinette de l'écrit...). Nietzsche observa que la machine à écrire contribuait / travaillait à ses pensées ("Unser Schreibzeug arbeitet mit an unserem Gedanken", 1882).
Dans le Faust de Goethe, Mephistopheles, expert en lucidité, pour décrire la fabrique des pensées ("Gedankenfabrik") évoque le tissage (weben, tisser ! parent du mot Web), et tout ce qui du tissage est déclenché par un seul geste : fils invisibles, navettes... Descartes, encore, soulignait le rôle des "longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations" (Discours de la méthode). Le simple pour aller au complexe.

Cette fabrication de la pensée par les outils numériques, "simples et faciles", devrait faire l'objet d'une observation ethnographique : décrire la forme d'un acte de pensée sur iTunes, Facebook ou Snapchat, lors d'une recherche sur Google, de l'envoi d'un texto, d'un tweet, etc. Qu'en savons-nous ?
Au moins ceci, que cette "fabrique de pensée" rompt avec celle des médias analogiques, sans potentialité interactive immédiate (hors télécommande) ; s'en suivent, pour les annonceurs, toutes sortes d'hypothèses quant à l'"engagement" de l'internaute et du téléspectateur.
On notera enfin "la disette de mots" (Diderot) pour énoncer ce qui se fait avec ces nouveaux outils de pensée, d'où l'importante création lexicale, recourant à l'anglais, ou au latin ! Il faut accueillir plus vite les mots nouveaux pour dire aisément la fabrique de pensers numériques.

Pour illustrer, et appliquer, voici deux documents musicaux sur la culture et la technique.
Document 1 : Daft Punk, "Technologic"
Document 2 : Christophe Willem, "Safe text"

Références
Friedrich Kittler, Grammophon, Film, Typwriter, Berlin, 1986, Brinkmann & Bose, 430 p. , Bibliogr.
D'Alexandrie au RPA : que peut-on apprendre des lieux de savoir ?
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mercredi 20 août 2008

Livres et lectures numériques


Kindle est le support de livres numériques lancé par Amazon, depuis novembre 2007. D'après un "expert" de la Citibank, il s'en sera vendu près de 400 000 fin 2008 (pifométrie ?). Selon Amazon, l'offre d'ouvrages numérisés est d'environ 160 000. L'utilisateur du Kindle peut s'abonner à des quotidiens (dont Les Echos, Die Frankfurter Allgemeine, Le Monde pour la presse européenne (15$), la plupart des quotidiens des grandes agglomérations américaines pour 13 ou 14$ (cf. photo : la pub, en noir et blanc publiée en 4 de couv du supplément hebdomadaire TV, début août), The Wall Street Journal, Investor's Business Daily et The Financial Times pour la presse économique anglophone, ainsi que le Shanghai Daily (en anglais) ; il peut aussi s'abonner à des magazines (TIME, Atlantic Monthly, Forbes), à des blogs, etc.
Si le prix des livres électroniques est généralement moins élevé que celui des équivalents papier, la différence de prix est souvent décevante, quand elle n'est pas révoltante puisque parfois les prix sont plus élevés que pour le papier. Mais l'on peut aussi télécharger des classiques à des prix imbattables (tout Shakespeare pour 5 $, Faust pour 1$ ...).



























Formidable
  • Légéreté, portabilité (mais l'étui est ringard et le design pour le moins conservateur)
  • Achat facile en ligne à la librairie Amazon, une fois l'enregistrement des coordonnées effectué (carte de crédit, adresse de facturation, etc.)
  • Téléchargement immédiat
  • Pas d'installation : cela fonctionne sans délai (seul livre offert : le mode d'emploi !).
  • Excellente lisibilité par tout éclairage (e-Ink). On peut choisir la taille des caractères
  • Téléchargement d'extraits d'ouvrage pour les tester avant achat
  • Possibilité d'insérer des signets, consulter un dictionnaire, annnoter, effectuer des extraits
  • "Writing You Own Ratings and Reviews" : le lecteur peut rédiger une recension, noter un ouvrage (objectivation du travail de "prescription" entre pairs)
  • Possibilité de mettre un fond sonore (MP3) ou d'écouter des audio-livres (avec audible.com, racheté par Amazon, non testé)
  • Accès à Wikipedia
  • Possibilité de faire éditer ses propres documents (Word, etc.) par Amazon pour les lire sur le Kindle.
  • Hotline téléphonique sympa, attentive (selon mon expérience, heureusement limitée !)
Décevant
  • La comparaison avec les fonctionnalités et ergonomies de la lecture sur ordinateur. Par exemple : sélectionner un extrait de texte s'effectue par ligne, et non par division naturelle (paragraphe, phrase, mot) et à l'intérieur d'une seule page. Ainsi, pour chercher un mot dans le dictionnaire, vous sélectionnez une ligne et vous obtenez la définition de tous les mots de la ligne. Anachronique. Quant au clavier, il est peu commode.
  • Modèle économique inspiré d'Apple. Le consommateur est prisonnier d'un standard fermé (hérité de MobiPocket, racheté par Amazon), coincé sur un seul appareil, avec un seul fournisseur. Pas d'interopérabilité, pas de portabilité des contenus. Insupportable.
  • Trop cher le matériel (359 $), trop chers les livres. On attendrait aussi d'Amazon de la publicité ciblée, choisie par le lecteur, par exemple. Publicité utile au consommateur, aux éditeurs et qui abaisserait le seuil d'accès. Aucune innovation dans ce domaine : les éditeurs recourent de plus en plus à la PLV pour la promotion des livres alors que s'essouflent et disparaissent les suppléments littéraires de la presse quotidienne.
  • A l'époque, tant célébrée, de la mondialisation numérique, le produit reste terriblement national (carte de crédit américaine uniquement et, pire, le voyageur même américain ne peut acheter et télécharger un livre hors des Etats-Unis !). Insupportable.
Bilan
Une bonne idée, un bon produit, évidemment améliorables mais trahis par un marketing conservateur.
Des solutions concurrentes existent. Sony qui vend un Portable Reader (ci-dessous sur un présentoir dans une librairie Borders, et affiché dans les aéroports aux Etats-Unis) vient d'ouvrir son appareil aux autres librairies électroniques, soutenant ainsi le format EPUB de l'International Digital Publishing Forum regroupant Simon & Schuster, Penguin Group, HarperMedia, Hachette, HarperMedia et Harlequin. De même, il existe une appli pour acheter et lire des livres sur iPhone (cf. eReader), des dictionnaires qui s'installent sur les téléphones. Le eBook de Sony est vendu en grande distribution spécialisée (Best Buy, COMP USA, Borders, etc.). L'appli iPhone, gratuite, est d'installation immédiate. La lecture est agréable mais ne propose aucune fonctionnalité autre que la stricte lecture (cf. photo). Microsoft propose aussi depuis longtemps un logiciel de lecture et des ouvrages pour ordinateur et Pocket PC. SFR teste un eBook depuis juillet 2008.












La question clé sera celle des relations avec les éditeurs. Sur ce plan, Amazon bénéficie d'un avantage grâce à son immense librairie plurinationale en ligne. Economie de "longue traîne" (140 000 ouvrages) alors que la promotion continue de mettre l'accent sur les "top sellers".






La distribution des livres sur support électronique est inéluctable
  • Les eBooks ne peuvent ignorer les acquis de la lecture Internet et le statut particulier du livre, différent en de nombreux points des supports musicaux (CD).
  • Il faut laisser le lecteur choisir son format de lecture et ses libraires.
  • Que peut-on attendre de Google Book Search ? Un android pour livres ?
  • Il faudra imaginer les librairies, les métiers d'édition et le marketing qui correspondent à cette nouvelle distribution de l'écrit. La solution ne viendra pas de la réglementation mais de l'invention, en marche, sans doute en rupture avec des modèles mis en place il y a quelques siècles. Où l'on retrouve la question du droit des auteurs et du rôle des éditeurs, celle des bibliothèques et du prêt en général.
El iPod de las escuelas
  • Belle formule, prophétique, du quotidien El Pais, pour décrire l'avenir du livre électronique ! A terme, il peut être le support pour les manuels et les outils didactiques en général (calculatrices, dictionnaires, atlas). Un marché existe dès l'enseignement primaire. On pourrait enfin ne plus voir des enfants de 4ème promener des cartables de 10 kg ou des étudiant(e)s accumuler des manuels chers et rarement à jour. Bonne occasion de repenser le travail scolaire, la relation aux documents, le "par coeur", l'imitation : vaste programme !
Quel habitus de lecteur développerait l'ebook en comparaison avec le papier et avec Internet ?

La portabilité est accrue (plusieurs dizaines d'ouvrages en un seul support). Mais on n'a pas un livre "de poche".
Le feuilletage subsiste, dans les deux sens. Il est même plus fréquent car on ne voit qu'une page à la fois et les pages sont plus petites. La lecture reste donc linéaire, plus encore même qu'avec le papier car on ne peut sauter des pages aisément.
Pas de souris, pas d'hypertexte, pas de surf. Alors qu'il y a tant à inventer pour activer la lecture, savante ou distrayante, et la rendre plus riche, efficace et passionnante.
Qu'est-ce qu'un livre à l'âge de ce que Alain Chartier appelle "la textualité électronique" ? L'écrit a connu toutes sortes de supports, lattes de bambou, rouleaux, tablettes, etc. : le livre actuel (codex) n'est que l'un d'eux, l'écran numérique aussi. Le support inculque une manière de lire, et d'écrire, dès l'enfance : comment croire à un eBook ignorant de l'habitus de lecteurs travaillés par l'iPhone, le SMS, le jeu vidéo et Internet ?
Le livre électronique n'est pas un gadget, c'est un des piliers d'une nouvelle fondation de la culture et de sa transmission.







mardi 12 août 2008

Tout marketing est géomarketing


Internet met la cartographie à la portée de tous, tout le temps, partout. Mobile ou immobile, la cartographie n'est plus seulement une information passive : elle est potentiel d'action. Repérer des points de vente pour un produit/service, en sélectionner un, obtenir ses coordonnées, des directions pour s'y rendre, etc. Cartographie interactive, personnalisable.

En auto, à pied, en tram, en bus ou à vélo... le téléphone est une boussole moderne dont le GPS et la cartographie font un outil marketing omniprésent : Google Maps, Yahoo! Local Maps, Mapquest, Live Search Maps (Microsoft), Nokia Maps (qui a racheté Navteq, s'allie à Lonely Planet), Garmin, TomTom... Les nouveaux terminaux téléphoniques (iPhone 3G, HTC Diamond, Nokia N95, Samsung Instinct, par exemple) y puisent un argument d'achat et de distinction (cf. illustration, dans une Apple Store, aux Etats-Unis)
Google y ajoute la plannification des trajets utilisant les transports en commun (transit functionality), accessible pour divers téléphones (BlackBerry, Windows Mobile, Symbian, Java). Une cinquantaine d'agglomérations sont concernées par le premier test, dont deux en France : Bordeaux (tram et bus, avec Tbc) et Maubeuge / Val de Sambre (bus, avec stibus).

Google a acheté à la National Geospatial-Intelligence Agency (NGA) l'exclusivité des droits d'exploitation cartographique on-line du satellite GeoEye-1, indiquant l'importance que l'entreprise accorde à la cartographie. Satellite lancé le 6 septembre 2008.

Les données de comScore / M:Metrics indiquent une hausse des usages de la cartographie mobile de 82% aux Etats-Unis. En tête, le iPhone suivi du N75 de Nokia. Les utilisateurs ne représentent encore qu'une faible partie des abonnés à la téléphonie portable (moins de 3% en France, 7,5% aux Etats-Unis) mais la chute des prix des appareils et des services amplifiera les usages jusqu'à en faire un outil universel.
Pour l'Internet fixe, la pénétration est plus avancée. Plus du tiers en Europe, près de la moitié des internautes aux Etats-Unis recourent aux outils cartographiques. La carte, le plan sont moyens de recherche marketing, mais aussi des outils efficaces pour présenter et lire les résultats (map mashups, voir par exemple le mapmixer de Yahoo! ou Minimap Sidebar de Mozilla), outils qui appellent une sémiologie cartographique appropriée. Tous les sujets s'y prêtent : le ministère espagnol de la culture recourt à Google Maps pour fait valoir le patrimoine culturel des régions avec Geocultura (idée que devrait bien suivre la prochaine édition de l'inventaire communal de l'INSEE), SpaceFoot y recourt pour faire valoir et animer le patrimoine footballistique amateur français. Avec l'API Gears Geolocation, Google donne à un site les moyens de localiser ses visiteurs et d'y adapter son offre en utilisant l'adresse IP, les coordonnées de la cellule téléphonique dans laquelle ils se trouvent, des données de la connexion Wi-Fi, etc. Cf. Google Code Blog.
Tout annonceur peut être présent sur Local Business Center de Google qui constitue un annuaire cartographique gratuit avec photos, vidéos et informations essentielles pour les clients. De plus, le géo-marquage des photographies (geotagging) donne aux commerçants et aux clients des resssources marketing nouvelles. La bataille des annuaires promet d'être rude.

Enfin, le croisement de la lexicographie et de Street View, grâce aux technologies dites "text-to-image" (OCR, Optical Character Recognition) est explosif puisque les éléments langagiers (graphèmes) inclus dans les images photographiques du paysage urbain pourront être repérés et indexés par les moteurs de recherche. D'autres projets du même ordre sont en cours comme MARA de Nokia (Mobile Augmented Reality Applications).
"L'alphabet des enseignes", cher au poète russe Vladimir Maïakovski, rentre ainsi dans le rang des textes indexables.

jeudi 7 août 2008

Comment le Web change le monde


Francis Pisani et Dominique Piotet ont réussi une large synthèse donnant à percevoir et comprendre au grand public éclairé ce que devient Internet. Un bilan aussi, positif, optimiste. Ce travail de sensibilisation et d'explication a parfois, et c'est bienvenu, des allures de manuel. Exemples, interviews, biblio, on ne s'y perd pas (pour la prochaine édition, ne pas oublier l'index !). Pas de technologie, plutôt un essai de réflexions stratégiques.

La tonalité générale oscille entre didactique et célébration. Tout le credo Internet est là, avec ses "théories", ses miracles attendus, techniques et boursiers, ses illusions nécessaires. Tout ce qui meuble les topos des analystes financiers et des levées de fonds. Une sorte de consensus intellectuel de marché. Le sous-titre revendique tout cela : "l'alchimie des multitudes", alchimie sociale toujours surperformante avec ses réseaux, ses amateurs, ses longues traines, crowd sourcing ... on est loin de la "multitude vile" de Baudelaire !



Cet ouvrage témoigne d'une incroyable confiance dans le "Progrès" : parfois, les analyses semblent conjuguer à l'impératif des technologies du XXIème siècle avec une idéologie du 19ème, positiviste (Saint-Simon, Auguste Comte). La philosophie est toujours en retard, disait Hegel !
Assurément, les auteurs sont des fans d'Internet et de sa culture, avec ses héros, ses légendes, sa mythologie, son folklore. Et en lisant, on a envie d'en savoir plus, la curiosité est éveillée, on se prend à admirer ... et l'on passe subrepticement du "manuel" à la "célébration". Comment résister à un enchantement si communicatif ? Il faudrait un "malin génie" délibérément, hyperboliquement désenchanteur, pour douter d'Internet, en tout point. Par provision. Travail d'épistémologue. Redoutable. Pointons au moins quelques attentes.
  • Sur le plan de l'entreprise, y compris individuelle, et de l'université manque un portrait des nouveaux "assis" du numérique, "genoux aux dents", qu'il faudrait regarder avec les yeux de Rimbaud. Etre connecté en tout temps, en tout lieu ? A quoi ? Facebook, Twitter ? 
  • Manque aussi, au delà des idées générales sur l'organisation ("l'entreprise liquide"), l'effet des technologies numériques sur le monde du travail : du principe de plaisir qui gouverne peut-être le Googleplex au principe de réalité qui taraude sûrement les modestes startups. Qu'est-ce qu'un syndicat dans l'entreprise numérique, qu'est-ce qu'un patron, une grêve dans le numérique ? Comment s'arbitre l'idéal anarchiste d'Internet avec la nécessité de servir des clients, des actionnaires et un nouveau genre de petits chefs ? Internet, n'a peut-être guère changé le monde ... du travail. Qu'est-ce qui se mijote dans l'entreprise numérique, un Tiers-Etat d'ingénieurs et d'associés, un prolétariat ?
  • L'ouvrage exploite surtout des exemples américains. Ethnocentrisme spontané ? Les entreprises françaises sont peu présentes, tout comme celles d'Amérique latine que connaît pourtant bien l'un des auteurs, celles d'Asie, d'Afrique, etc. Comment fonctionne la géographie d'Internet : des centres de recherche aux Etats-Unis, des petites mains à la périphérie ? Assiste-t-on au pillage numérique du tiers-monde ? Où commence la périphérie ? Dites, c'est loin le tiers-monde ?

Ce livre constitue un débroussaillage réussi, indispensable. L'enthousiasme y corrompt parfois l'analyse. Espérons de nouvelles éditions. Les "dispositifs" d'Internet n'ont pas encore suscité une science rigoureuse des changements numériques. La tentation du prophétisme socio-technologique qu'encouragent les demandes du marché menace chaque essai de généralisation.

dimanche 3 août 2008

La loi Bichet, façon Walmart

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MediaGuardian.co.uk (le site du quotidien anglais) publie un mémo interne adressé par l'enseigne de distribution Asda, filiale de Walmart depuis 1998 (Asda a racheté Sainsbury's en 2003) aux magazines anglais qu'elle distribue. Ce document envisage, comme base de discussion, une nouvelle forme de rémunération du distributeur pour les linéaires presse dans ses magasins : troquer cet espace contre des pages de promotion / publicité ou de couverture éditoriale (editorial / advertising space) gratuites.

Erreur commise par un débutant, selon le communiqué de Asda ! Le mémo prévoit aussi, outre la rémunération du mètre linéaire ("space contribution"), un bonus indexé sur les ventes (2% trimestriel), une compensation en cas de ventes inférieures aux prévisions ( "hurdle rate"), etc. Asda demande aussi aux titres de mettre en place des "linksaves" incitant le client à tester avantageusement un autre produit (avec réduction de prix, etc.).

Bien sûr, les groupes de presse crient qu'on leur fait outrage. De son côté, Asda rappelle au Guardian qu'établir une "liste de souhaits" comme point de départ avant une négociation est une procédure normale : "The email sets out a number of proposals aimed as a starting point to begin discussions. As with any negotiation, both parties have a wish list which will quickly change as middle ground is sought and an agreement that suits both parties is found."

Au-delà des discours d'usage, ce mémo doit donc être interprété comme un acte manqué révélateur de l'inconscient de la grande distribution, de la manière dont serait traitée la presse en l'absence de toute législation ou réglementation spécifiques.
Ce courrier, merveille de clarté (ce débutant a de l'avenir !), constitue une invitation à distinguer et calculer l'impact des législations européennes en matière de distribution (en France, la loi Bichet). Cette "wish list" est tout un programme.

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