vendredi 29 août 2008

L'ère des médianautes

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Les annonceurs savent combien une association TV / Internet bien orchestrée par le plan média peut être multiplicatrice d'audience, pour chacun des deux médias. Chaque média sur son écran, simultanément parfois.
En revanche, marier TV et Internet sur un même écran relève d'une autre logique ; c'est une idée vieille... comme Internet. On se souviendra, par exemple, de TAK (Thomson, avec Microsoft) qui dès 1999 voulait, trop tôt, enrichir les émissions de télévision par des développements Internet sur l'écran du téléviseur (jeux, guide de programmes, etc.) [Voir la thèse consacrée à ce sujet et au "désir d'interactivité" soutenue en 2008 par Sandrine Bensadoun-Medioni et sa présentation au Séminaire Média de l'IREP en décembre 2004]. Une dizaine d'années plus tard, un projet semblable revient, rhabillé de pied en cap, soutenu par trois acteurs puissants du numérique :
  • Comcast, premier câblo-opérateur américain, apporte la set-top-box, tru2way. Au départ, se trouve donc un opérateur qui achemine télévision, VOD (FanCast compte plus de 3000 titres à télécharger) et Internet à plus de 25 millions de foyers d'abonnés.
  • Intel apporte le chip, “System-on-a-Chip”, SoC qui sera placé dans la set-top-box et, ultérieurement, dans le téléviseur même.
  • Yahoo! apporte la plateforme de développement de widgets. Le Widget Channel disposera les widgets dans un bandeau en bas d'écran, widgets "correspondant" à l'émission en cours (cf. illustration tirée du site de Intel). Les widgets donnent de la flexibilité et de la diversité aux propositions média. Dernier symptome de leur succès : les applis pour iPhone vendues dans la boutique App Store sur ITunes (on parle même d'"appliphilia"). Blockbuster, CBS Interactive, CinemaNow, Cinequest, Disney-ABC, eBay, NBC, Group M, Joost, MTV, Samsung Electronics, Schematic, Showtime, Toshiba, Twitter collaboreraient à la réalisation de widgets.

Dans un tel dispositif, la télévision épouse un modèle à la YouTube, où se mélangent télévision et Internet, où l'écran TV s'inscrit dans l'écran de l'ordinateur, encadré d'informations et de liens, où le moteur de recherche (IPG) est commun à Internet et à la télévision, aux sites et aux émissions, aux mots et aux images. Le téléspectateur fait place au médianaute.

Dans cette configuration, la télévision adopte enfin les outils marketing d'Internet et rentre dans le siècle. Les conséquences commerciales et publicitaires en sont formidables.
  • Pour le marketing des contenus et de la publicité. On pourra désormais comprendre le téléspectateur-internaute (médianaute) en le suivant d'une seule et même manière (cookies, tags, avec sa complicité) comme on le fait déjà sur Internet : ciblage et marketing comportemental. Une seule manière de travailler, de mesurer, qu'il s'agisse de consommation TV (linéaire ou VOD) ou de consommation Internet (streaming ou site marchand). Une seule console, des TV / webanalytics cohérents.
  • La mesure de l'audience prend en compte tout le numérique du foyer : les téléviseurs et leurs périphériques (consoles, lecteurs de DVD, DVR), les ordinateurs et leurs périphériques (lecteurs de musique), téléphones (fixes ou portables). On s'approche de manière réaliste du 360° que réclament les annonceurs.
  • Au lieu d'être passive, la mesure des audiences devient réactive, pour donner naissance à un marketing dynamique : ajuster sans délai une campagne en cours aux premiers  résultats observés, proposer des produits, suggérer des émissions, des sites, des coupons, des réductions, des opérations commerciales à la carte, des contributions, etc. La mesure de l'audience change de statut, d'objectifs, passant de la statistique descriptive à une mathématique de l'action.
Comcast ouvre la voie aux opérateurs / distributeurs multiplateforme, à toutes les entreprises qui proposent triple ou quadruple play, et notamment aux groupes de télécom, ses plus redoutables concurrents. Des changements s'en suivront, dont l'ampleur est encore difficile à imaginer :
  • Qui est le mieux placé pour assurer la régie publicitaire des widgets sinon l'opérateur multi-plateforme ?
  • Un nouveau métier de création (de widgets) pour les agences. Un nouveau marché aussi pour les développeurs, amateurs et professionnels. La création s'ouvre aux ingénieurs.
  • La question de l'encombrement (clutter) de l'écran déjà sensible, est exacerbée. Sans doute, les widgets doivent-ils être opt-in, l'installation personnalisable. Les médianautes prennent le pouvoir : ils voudront choisir et maîtriser les interruptions / interventions publicitaires.

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