mercredi 5 novembre 2008

La TV locale en panne


En France "métropolitaine", la télévision locale est le parent pauvre des médias. Arrivée très tard, longtemps après la télévision d'Etat, centralisée et centralisatrice, et dans ses fourgons (France 3 Régions). Quant à la télévision locale commerciale, tout se passe comme si l'on avait tout fait pour qu'elle ne réussisse pas (des supects ?).
La réglementation a d'abord été hostile, interdisant pratiquement toute publicité locale. Donc pas de business plan possible. M6 s'est risqué sur ce marché dès 1987, à Dijon (avec Le Bien Public), suivant une idée originale, les décrochages de 6 minutes dans une quinzaine de grandes agglomérations. Idée qui aurait pu déboucher sur un network, si la contrainte réglementaire avait été desserrée. Trop tard, M6 semble renoncer.

Depuis quelque temps, le CSA multiplie les autorisations. Mais le modèle économique en place n'est pas convaincant : peu de publicité locale, très peu de publicité nationale (malgré le GIE Télévisions Locales-Publicités dont TF1 assura la régie publicitaire). Certes, dans quelque temps, le passage au numérique fera baisser les coûts de distribution. Pour l'instant, cela ne va pas fort et l'heure est aux réductions d'effectifs, plutôt drastiques (cf. Les Echos du 3 novembre). 
Evidemment, comme toujours, on attend une solution de l'Etat ou des collectivités locales : des subventions, des aides ... Pourquoi ne pas suivre l'exemple de la presse en matière de réseau ? D'autant que la presse régionale est souvent ou fut partie prenante du développement de la télévision régionale (Le Progrès à Lyon, La Dépêche du Midi à Toulouse dont TLT, la station, est déclarée en cessation de paiement, La Montagne à Clermont-Ferrand, Sud Ouest à Bordeaux, La République du Centre à Orléans, etc.). 
En fait, on conçoit encore la télé locale comme un modèle réduit de la télé nationale, et sans doute aussi comme une déclinaison vidéo de la presse. Ce n'est sans doute ni l'un ni l'autre.

C'est l'occasion de revenir sur quelques problèmes fondamentaux laissés en jachère.

  1. Comment penser et organiser l'association de la presse, de la télévision et d'Internet en région (éventuellement de la radio) ? Quelles synergies, quels transferts ? Vise-t-on, comme on en fait  l'hypothèse, le même public pluri-média ? Disposons-nous d'études évaluant l'intersection des audiences entre plusieurs supports, et d'une manière plus générale les usages de l'information locale selon chacun des supports ? Savons-nous si les utilisateurs / lecteurs quittent un support pour passer à l'autre ? Il  serait judicieux de mettre en place un type d'enquête permettant de situer, quantitativement (contacts, occasions de contacts) mais surtout qualitativement (usages), la répartition des audiences locales entre télévision, radio, Internet et presse. Et de suivre l'évolution de cette répartition. 360° local ?
  2. Faut-il encore segmenter radicalement les messages selon les médias / supports ? Si la réponse est positive, comment définir le métier de journaliste, par le média ou par le domaine couvert ? Monomédia ou plurimédia ? 
  3. Faut-il s'appuyer sur une seule "marque média" ? Ou distinguer autant de marques que de supports ? 
  4. Une station locale de plein exercice correspond sans doute pour l'instant à une ambition exagérée. Aux Etats-Unis, elles sont rares (indies) ; une station locale est soit contrôlée et gérée par une grande chaîne généraliste nationale (owned & operated), soit elle lui est affiliée. Le network lui apporte 80% de sa grille, au moins, et 100% de son prime time. Le network va même souvent jusqu'à financer la reprise de certaines émissions afin de leur assurer une couverture nationale. Les networks ne contrôlent que les stations (owned & operated) des plus grands marchés (New York, Los Angeles, Chicago, etc.). Pour compléter leur grille, les stations accèdent au large marché de la syndication, notamment via des contrats de troc (barter syndication). Globalement, la station locale n'est rien sans son network, dont elle peut changer (et inversement). 

L'échec du local télévisuel en France n'est pas un destin. Regardons, par exemple, ce que développent Google ou Facebook pour les petits annonceurs (PME, TPE) : cela indique qu'un marché publicitaire local plurimédia est à construire (la métaphore courante du "gisement publicitaire" qui laisse entendre qu'il suffirait de le "dé-couvrir" et d'y puiser, constitue un obstacle épistémologique). Développons les outils nécessaires au travail média des régies et des agences pour le local : quelle pige locale des investissements publicitaires, quelle mesure régulière des audiences (auditée) ? Ce n'est pas un marché à découvrir mais à construire. Le développement du numérique va mettre de l'ordre dans tout cela.

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