dimanche 28 novembre 2010

Marmiton, du Web au papier

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Thanksgiving Dinner Photo AiM CmM
Encore un ! Encore un site Web qui commence une double vie média dans les points de vente presse (cf. l'obsession du papier). Pour son dixième anniversaire, Marmiton.org lance une édition papier. Beau magazine bimestriel de 148 pages, dos carré (3,9 €). Agréable à feuilleter. Des recettes (140) bien photographiées (le résultat final, pas les étapes), une cuisine pour les yeux, appétissante, engageante. Ce magazine a comme un penchant livre d'art que l'on garde et regarde.
Des annonceurs ? Bien peu pour un magazine d'une telle qualité, qui sera conservé, repris en main (cumul de contacts). Les annonceurs captifs dominent. Elle et Vire (groupe Bongrain) vend sa crême "entière" en 4 de couv. LG ses fours encastrables (p. 5), Old Dutch Master un fromage hollandais, Monbana du chocolat, Licorne, une bière (p. 24). Des produits liés au Web, monlivregourmand.com (p. 2 de couv), des applis iGourmand pour iPhone (recettes, 3 de couv). Et Jambon d'Aoste qui vante les mérites de son site tout en offrant un coupon à présenter en caisse (p. 37). Pour ces quelques annonceurs malins, bien conseillés, combien d'annonceurs bizarrement absents nous viennent à l'esprit.
Le magazine comprend des contributions d'amateurs (le marmiton est un apprenti), mais retouchées par des pros, des "chefs" (p. 37). Les résultats d'une analyse des déclarations d'internautes fréquentant le site marmiton.org signalent des tendances apparentes : la cuisine comme loisir créatif, une sensibilité déclarée aux aspects environnementaux, à la santé (pp. 35-36). Pas de révélation, mais des indications à suivre.

Cette création est une démonstration convaincante de la division du travail entre magazines papier et site Web. La confrontation, un peu forcée et artificielle, de l'index des recettes du magazine (p. 143) avec l'index des recettes du site est éloquente. Celui du magazine n'est guère qu'un plat sommaire tandis que le site propose un moteur de recherche multicritère adapté aux recettes. Le site alimente le magazine en recettes ; le magazine lui assurera visibilité et publicité. Le site est opérationnel, le magazine est à parcourir en gourmet pour rêver, imaginer des repas festifs, des plats inattendus, avant de se lancer... Dans ce dispositif concertant, il n'est pas certain qu'une tablette ait un rôle à jouer, quant à l'iPhone, il apporte miniaturisation et portabilité, commodité, mobilité.

Pour mémoire :
  • Marmiton.org, fondé en 1999, appartient au groupe Axel Springer qui a racheté auféminin.com en juin 2007 (le site avait racheté Marmiton fin 2006). Marmiton propose depuis 2009 une appli iPhone payante (2,39 €).
  • Si l'on en croit la présence de la cuisine et de la gastronomie dans les points de vente presse, la France marmitonne passionément : 70 titres nouveaux et hors série pour les onze premiers mois de 2010 (84 pour l'année 2009. Source : Base presse MM). 
  • D'après Presstalis, qui le distribue, le titre s'est vendu à 100 000 exemplaires et n'a compté que 20% d'invendus (15 avril 2010).

jeudi 25 novembre 2010

Numérotation des chaînes et linéaire TV

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L'opérateur du câble Comcast et la chaîne Tennis Channel s'opposent à propos du positionnement de la chaîne dans l'offre commercialisée par l'opérateur.
La chaîne est offerte dans le cadre d'un package optionnel de chaînes sportives alors qu'elle demande à être distribuée dans le service de base (basic tier), ce qui lui donnerait une meilleure chance d'être regardée et surtout lui permettrait d'être mieux rémunérée par l'opérateur (sa rémunération dépend du nombre d'abonnés à Comcast qui reçoivent la chaîne). Tennis Channel fait remarquer que deux chaînes de sport, Golf Channel et Versus (chaîne multi-sport), qui appartiennent à Comcast sont placées dans le package basic accessible à tous les abonnés. Tennis Channel y dénonce une discrimination (carriage discrimination). parmi les packages et donc sur la numérotation du canal affecté à la chaîne (lineup). Incapables de s'accorder, Comcast et Tennis Channel attendent l'arbitrage de la FCC.
  • Ce conflit doit être lu dans une double perspective 
    • La fusion NBCU / Comcast. Certains y voient une préfiguration de ce que donnerait une concentration des pouvoirs distributeur / détenteur de contenus : la mise en danger d'une sorte de neutralité de la distribution. Tennis Channel compte profiter de ce contexte.
    • Le lancement de Google TV. Avec Google TV, ou tout moteur de recherche TV, la numérotation, et le nom de la chaîne ne viennent plus qu'au second rang pour le téléspectateur qui choisit son programme à l'aide de requêtes (mots). Le moteur lui permet de trouver et sélectionner des émissions en fonction de leur description (thèmes, acteurs, horaires, etc.), et bien sûr de leur référencement (naturel et payant). Le nom de la chaîne et, a fortiori, son numéro, ne sont qu'un élément taxonomique faible (par opposition à film, sport, documentaire, etc.) auquel succéderont de facto des outils folksonomiques.
  • Ce conflit laisse entrevoir la remise en question prochaine de la logique commerciale du linéaire TV et du référencement des produits vidéo par le distributeur (le basic est comme une tête de gondole). Tennis Channel réclame un meilleur positionnement, une meilleure visibilité par les téléspectateurs. Google TV fournit au distributeur le moyen de gérer son offre plus simplement et plus rationnellement dans l'intérêt du consommateur. On voit poindre la remise en chantier de la politique des prix pratiqués par les distributeurs : le paiement des chaînes intervenant plutôt, par exemple, en fonction de la durée de consommation, que du nombre théorique d'abonnés (cf. initialisation). La notion de "package" (tier, etc.) ne survivra pas longtemps à la remise à plat des offres vidéo par les moteurs de recherche, pas plus que celle, parente et tout aussi surannée, de "portail" que s'efforcent, sur le Web, de faire survivre quelques distributeurs.

mardi 23 novembre 2010

Sport local, sport national

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Le câblo-opérateur américain Comcast (MSO) met en place des éditions régionales numériques (PC, Mac, iPhone, iPad) en collaboration avec SportingNews TODAY dans la dizaine de régions où Comcast Sport Group dispose de chaînes de télévision sportive Comcast SportsNet (CSN) : Philadelphie, Baltimore, Californie, San Francisco, Chicago, Nouvelle Angleterre, New York, Nord-Ouest, The Mountain, Washington D.C.
L'abonnement mensuel à cette version quotidienne en ligne sera vendu 3,99$ contre 2,99 pour l'édition strictement nationale.
The National en été 1990
La régie locale sera assurée dans chaque région par Comcast Sports Group et la régie nationale par SportingNews.
  • Les médias nationaux de toutes sortes poursuivent leur progressive localisation. Plus que tout autre contenu, le sport se lit en deux dimensions, locale et nationale, épousant la logique commerciale de la plupart des annonceurs dont l'image de marque est nationale et la distribution locale. ESPN (Disney / ABC) a déjà lancé des éditions régionales de sa chaîne dans les principaux DMA : New York, Los Angeles, Boston, Chicago, Dallas.
  • Sporting News TODAY se vante d'être "the world's only daily sports magazine" : 365 jours par an, 30 pages d'information sportive. Il aura fallu attendre le numérique pour que se développe aux Etats-Unis une presse sportive quotidienne nationale spécialisée. Celle-ci n'a jamais pu trouver son modèle économique avec le support papier malgré la qualité unanimement reconnue de la dernière tentative, The National Sports Daily. The National n'aura tenu qu'un an et demi, de janvier 1990 à l'été 1991, pour n'avoir pas réussi à couvrir le sport local dans les délais adéquats (les horaires des fins de matchs retardaient trop le bouclage et se trouvaient incompatibles avec ceux de la distribution). The National utilisait les infrastructures du Wall Streeet Journal pour l'impression et la distribution. 
  • Sporting News publie une édition papier, Sporting News Magazine, mais bi-hebdomadaire.

dimanche 21 novembre 2010

Un manifeste politique : Vive Internet et le Web !

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Tim Berners-Lee a inventé le Web. Trente ans après, il en rappelle les principes généraux dans un manifeste publié par Scientific American : ouverture, universalité, neutralité, gratuité. Le Web est désormais fondamental pour les libertés, plus que n'importe lequel des médias. "The Web is now more critical to free speech than any other medium". Le Web est le contre-pouvoir essentiel, pouvoir que les médias ont perdu.

Rappelant les orientations fondatrices du Web, Berners-Lee signale des entreprises et des développements qui mettent le Web en danger. Réquisitoire. Au banc des accusés :
  • S'opposant au principe d'universalité et de neutralité
    • Des sociétés qui féodalisent le Web, créent des fiefs qu'elles entourent de murs ("walling off information") comme AOL autrefois (qui ne s'en n'est pas remis) : iTunes, Facebook qui parasite impunément le Web, LinkedIn...
    • Des fournisseurs d'Internet (opérateurs du câble, par exemple) qui, vendant conjointement l'accès Internet et leurs propres services Web, voudraient se servir du premier pour brider et entraver les concurrents des seconds (discrimination). 
    • Dans la même veine, la législation d'exception pour l'Internet "sans fil" (wireless) que réclament Verizon et Google aux Etats-Unis : elle créerait un privilège pour les contenus des opérateurs de téléphonie, au détriment des consommateurs. Que diable allait faire Google dans cette galère ?
    • Les applis pour appareils mobiles qui segmentent le Web. Ces applications, petits fiefs servants, accablés de suzerains, isolent et séparent les internautes au nom de la communication.
  • S'opposant au principe d'ouverture : tous les Etats qui se mêlent d'Internet 
    • Les Etats totalitaires, Etats criminels où les hommes, et surtout les femmes, sont sans droit
    • La Chine, première nation de l'Internet, qui tente souvent de circonvenir la communication politique sur le Web.
    • Les Etats occidentaux, généreux pourvoyeurs de déclarations grandiloquentes, dérapent parfois. Parmi les législations contraires à l'esprit du Web, dangereuses pour son développement, Berners-Lee cite : la loi Hadopi (France), le Digital Economy Act (Grande-Bretagne), le Combating Online Infringement and Counterfeits Act (Etats-Unis). 
En même temps qu'il dénonce les dangers que court le Web, Berners-Lee rappelle les principes qui en assurent la créativité, la fécondité. 
  • Gratuité et décentralisation. Ce sont des standards ouverts et gratuits qui ont permis la création de richesse sur Internet : transmission Internet (IP, TCP), Web (http, URL, HTML). Grâce à ces standards, nul besoin de solliciter une quelconque autorisation d'une quelconque autorité pour faire circuler de l'information sur le Web. 
  • Séparation des pouvoirs. Il faut continuer de séparer la couche Web (contenus) de la couche Internet (réseau électronique de transport) : c'est un gage de libertés. 
Internet et le Web sont un Droit de l'Homme. De très grandes entreprises, dont certaines doivent tout au Web, sont tentées d'en remettre en question les principes, de le balkaniser pour des profits à court terme. Quant aux Etats, éternels "monstres froids", ils ne peuvent que vouloir l'asservir, au nom du "peuple", comme toujours.
Le Web et ses principes fondamentaux ne vont donc pas de soi : il faut les défendre sans cesse comme il faut défendre les libertés, sans cesse menacées. 

vendredi 19 novembre 2010

Fin d'annuaire

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Google renonce aux Etats-Unis à la fonction d'annuaire téléphonique du moteur de recherche (Google Phonebook). Il y avait trop de plaintes, trop de personnes voulaient voir leur nom et leur numéro désinscrits, numéro personnel et numéro de la résidence (r-phonebook). On ne peut désormais trouver le numéro d'une personne que si l'on connaît également son code postal (5 chiffres).
  • Ceci témoigne de la sensibilité variable de la population américaines aux diverses dimensions de sa vie privée. Tous les aspects de la vie personnelle ne sont pas également privés : le numéro de téléphone l'est plus que d'autres (les cookies, ou une présence sur un réseau scoail, par exemple) car il est accès au domicile, à l'intimité du chez-soi. Résidence réelle et résidence virtuelle ne sont pas sur le même plan.
  • Cette résistance aux annuaires en ligne recoupe celle, tacite, aux enquêtes par téléphone qui utilisent des annuaires et qui reconstituent (random digit dialing) les numéros de ceux qui s'en sont exclus délibérément (numéros inscrits sur liste rouge, "unlisted numbers") pourtant clairs dans leur volonté de ne pas être contactés. Le taux croissant de refus de répondre qu'enregistrent les enquêtes téléphoniques illustre l'évolution de la définition de la sphère privée..

lundi 15 novembre 2010

Les Ch'tis : bienvenue chez TF1

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On a parlé du film "Bienvenue chez les Ch'tis" (février 2008) comme d'un événement social digne de "sociologiquer" la nostalgie, constamment réanimée, de l'autochtone (Les Ch'tis : la fabrication de l'autochtone). La télévision gratuite confirmera sans doute le succès de ce film, et l'incompréhension, souvent condescendante, dont ce succès bénéficie chez les spécialistes des médias et de la culture.

Pour TF1, co-producteur du film aux côtés de Pathé et Hirsch, malgré les entrées en salles (20,5 millions, record des films français), malgré les ventes (plusieurs millions) et les prêts de DVD, malgré les téléchargements et la VOD, malgré la diffusion sur Canal Plus en mars 2009 (2,7 millions de téléspectateurs)... l'audience sera là dimanche soir 28 novembre en prime time. Malgré cette gigantesque accumulation d'audience ? Non, plutôt grâce à elle. Rediffusion, plaisir régulier du téléspectateur.

L'écran de coupure (2140) est commercialisé par la régie de TF1 au tarif de 150 000 € le 30 secondes. Qui dit mieux ?
Après cette (re)diffusion, nous aurons une raison de plus pour nous demander : que nous apprend un tel événement, qu'il vaut mieux énoncer que dénoncer, sur la société française et ses médias ?
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dimanche 14 novembre 2010

L'OJD des applis

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L'OJD publie les résultats mensuels certifiés de la fréquentation des applis de quelques médias. 
Observons tout d'abord que certaines applis de la presse et d'autres médias ne sont pas encore à l'OJD... 
Le Monde domine haut la main le monde de l'information. En pages vues/lues, c'est 4 fois 20 minutes, près de 20 fois Libération, 70 fois Les Echos100 fois La Tribune. La statistique des visiteurs uniques confirme cette hégémonie. 
Le Parisien fait bonne figure dans ce classement. Encore peu de visiteurs uniques mais un nombre élevé de visites par visiteur et de pages vues par visite. Est-ce parce que ce quotidien est à la fois local et national, qu'il est un des seuls à couvrir certains faits divers (pas si divers) ? Seule l'analyse des comportements de lecture sur l'appli peut tester ces hypothèses.
Les applis des magazines, avec moins de 100 000 visiteurs uniques par mois, sont dans les choux ou absentes du contrôle.
La corrélation simpliste, effectuée a priori, entre segmentations socio-démographiques et pratiques d'information sur smartphones est un peu bousculée. A moins que ces segmentations, telles qu'on les pratique encore en média ne veuillent plus rien dire (mais cela peut constituer un objectif, de ne rien dire !). L'équipement en smartphones mais surtout les usages qu'il en est fait ne sont sans doute pas ce que l'on croit. De l'intérêt de ce travail de contrôle et certification par l'OJD.

18 Applications Mobile
VISITES
Octobre 2010
VISITEURS
Octobre 2010
Visites/ Visiteurs
PAGES VUES
Octobre 2010
P.V./ Visites
 Appli LeMonde.fr
12 686 726
1 080 021
11,75
56 884 815
4,48
 Appli La Chaîne-Météo
7 182 111
890 054
8,06
36 383 526
5,06
 Appli Pages Jaunes
5 043 309
1 420 887
3,55
7 419 616
1,47
 Appli LeParisien.fr
4 143 112
272 798
15,19
30 716 614
7,41
 Appli L'Equipe
3 209 744
155 203
20,68
25 573 349
7,97
 Appli 20minutes.fr
2 557 276
341 029
7,50
13 888 303
5,43
 Appli LePoint.fr
904 071
93 447
9,67
5 961 267
6,59
 Appli Liberation.fr
714 553
94 477
7,56
3 075 431
4,30
 Appli Logic-Immo.fr
566 613
76 942
7,36
14 483 346
25,56
 Appli LePost.fr
525 885
50 226
10,47
3 041 267
5,78
 Appli NouvelObs.com
449 732
64 907
6,93
2 131 476
4,74
 Appli Latribune.fr
260 560
90 513
2,88
513 818
1,97
 Appli LeMonde.fr Sport
223 395
61 509
3,63
1 434 500
6,42
 Appli LesEchos.fr
216 545
65 172
3,32
797 209
3,68
 Appli Topannonces.fr
150 074
46 582
3,22
2 132 894
14,21
 Appli ParuVendu
101 628
34 887
2,91
2 604 757
25,63
 Appli Challenges.fr
63 786
15 647
4,08
309 848
4,86
 Appli RegionsJob.fr
55 000
14 816
3,71
768 777
13,98
Source : OJD, 14 novembre 2010, pour le mois d'octobre 2010.

Les consommations mobiles avec applis bouleversent donc les hiérarchies de consommation produites par le web ou le papier. Autres médias, autres pratiques. Autres lecteurs ?
Notons deux cas particuliers de consommations mobiles particulièrement utilitaires, engagées, locales.
  • Les informations météorologiques avec La Chaîne Météo. 
  • L'annuaire Pages Jaunes.
Alors que l'équipement en smartphones se généralise, que le Wi-Fi s'étend, les consommations en mobilité n'ont pas fini d'étonner. Comment les conjuguer aux autres modalités de consommation, fixes ou mobiles ? Quelles données multi-plateforme pour les annonceurs ?
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samedi 13 novembre 2010

The Google School

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Google has become the university for the media. When companies try to hire away Googlers they recognise the added value Google brought to their employees' basic training. Google is for the media today what Procter used to be for marketing. Google experience multiplies the educational investment made at universities. What companies recruting from Google admit is: we need people with a Google experience (i.e. we do not know how to train people for the jobs we need to fill). 

Le débat journalistique sur le débauchage d'employés de Google par des entreprises oeuvrant dans des domaines voisins (dont, dernièrement, Facebook) met en évidence le rôle majeur joué par Google dans la formation aux métiers des médias. Avoir "fait Google" est une référence sur le marché des emplois média ; par conséquent, il est normal de vouloir "faire Google" pour en sortir ensuite mieux diplômé. Google est devenu un lieu éminent de formation et de légitimation des formations, comme le fut Procter and Gamble pour le marketing. En débauchant des Googlers, les entreprises média saluent en acte le travail de formation qui s'accomplit chez Google.
Au lieu d'une approche people de la question, mieux vaudrait s'interroger sur le rôle des entreprises innovantes dans la formation, sur leur relation - dialectique - aux universités, etc. Dans quelles universités recrute Google, comment ? Quelle est la valeur ajoutée de Google à cette formation initiale qui donne un tel prix à certains "Googlers"? La question de la relation des universités aux entreprises, tellement ressassée, devrait être reprise à l'aide de cet exemple. Veut-on que nos étudiants soient recrutables par Google ou prétend-on faire le travail de Google ?
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jeudi 11 novembre 2010

Evolution des régies publicitaires : le cas Weather Channel

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Seule une chaîne météo pouvait donner à un outil publicitaire un nom d'ouragan : la régie du site de The Weather Channel (TWC) s'associe à AdMeld pour mettre en oeuvre sa propre place de marché publicitaire, "Category 5". Son objectif déclaré est de reprendre le contrôle total de la vente de tout son espace publicitaire, donc d'optimiser elle-même ses revenus (yield opimization), en temps réel (Real Time Bidding), et en relation constante avec la vente directe d'espace réalisée par ailleurs. Pour cela, la régie doit se procurer des outils technologiques adaptés à la commercialisation automatique d'un inventaire abondant et complexe.

Appli TWC
Cette opération peut retenir l'attention pour plusieurs raisons.
  •  TWC est, en matière de télévision, un acteur stratégique. Comptant plus de 100 millions d'abonnés, présente dans près de 100% des foyers TV américains, c'est la première des chaînes d'information de la télévision américaine. La météo, c'est central dans la vie quotidienne des Américains (cf. L'avenir média de la météo). Le formatage de la météo, émietté, localisé correspond aux attentes du marché publicitaire (ciblages contextuels, géo-marketing). Cette chaîne thématique est diversifiée dans ses supports : météo locale et hyperlocale, radio, site Internet puissant (45 millions de visiteurs uniques / mois), développements pour mobile (dont appli iPhone). Le site Internet n'est pas en rupture formelle avec la chaîne, bien au contraire. Le passage de l'une à l'autre et au mobile est logique, naturel.
  • The Weather Channel appartient au groupe média Universal NBC, lui-même en cours d'acquisition par le premier câblo-opérateur américain (MSO), Comcast. TWC se trouve donc au coeur d'un groupe tout numérique (studios, jeux vidéo, network généraliste, stations de TV locale, chaînes thématiques) en voie de transformation profonde et qui n'est pas bloqué par des composantes nécessairement conservatrices : pas de papier dans ce groupe, ni presse, ni affichage. Déjà, NBC s'est fait remarquer au début de l'été par une stratégie iconoclaste en constituant son propre ad network, UAP (cf. Réseaux publicitaires : TV networks et Ad networks).
  • Etant donné le dynamisme des acteurs concernés, cette initiative publicitaire de TWC peut, à court terme, s'étendre à la vente d'espace publicitaire de la télévision. Les avancées dans ce secteur de Apple (Apple TV) et de Google (Google TV, qui vient de passer un accord avec l'opérateur de bouquet satellite Dish Network) devraient stimuler l'innovation publicitaire des chaînes et des groupes numériques.
  • Une telle évolution s'étendra-t-elle à d'autres types d'éditeurs ? Est-elle réservée, comme l'ont déclaré des agences média, aux très grands éditeurs ? Il y a de bonnes raisons de penser qu'elle pourrait se propager à des éditeurs moins puissants, ce qui ne ferait pas l'affaire des agences média dont le champ d'activité numérique est menacé par de nouveaux acteurs. 
Alors qu'Internet accède au statut de média publicitaire, les groupes médias numériques, remettent en chantier leur stratégie et reprennent un contrôle confié jusqu'à présent à de petits sous-traitants pendant une fort longue période d'incubation. NBC inaugure sans doute un mouvement qui transformera durablement le marché, par étape.

N.B. A propos du nom, "Category 5" : il désigne l'ouragan de force maximum sur l'échelle de Saffir-Simpson. "Category 5" provoque des dégats considérables, "catastrophic" (cf. Weather Encyclopedia de TWC). La chaîne aime cette métaphore : son appel aux commentaires des internautes est dit "Voice 5".

mardi 9 novembre 2010

Haute définition, basse consommation

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Aux Etats-Unis, la TV haute définition est hégémonique : on en parle comme d'une évidence, qu'il s'agisse des équipements des foyers ou des programmes.  La réalité des consommations révélée par les observations de Nielsen s'avère différente (Source : The Nielsen Company, novembre 2010).
Certes, la HD est présente dans plus de 60% des foyers américains, mais :
  • seuls 56% des possesseurs ont branché la HD et souscrit à un service HD.
  • tous les téléviseurs d'un foyer HD ne sont pas HD : en conséquence, un tiers de la télévision regardée dans un foyer HD reste de la télévision standard (SD).
  • sur un téléviseur HD, 20% de la consommation est encore en SD.     
La HD ne représente donc que 13 à 19% de la télévision consommée aux Etats-Unis. C'est encore un phénomène télévisuel mineur. L'équipement est très en avance sur les pratiques. L'offre de programmes aussi. Et les discours qui les accompagnent le sont encore plus : ils n'ont pas pour fonction de décrire la réalité, mais de la faire advenir, de la promouvoir.
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lundi 8 novembre 2010

Du magazine aux guides d'achat

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L'édition papier du magazine américain U.S. News & World Report ne passera pas l'année. En décembre, c'est fini : le titre ne sera bientôt plus disponible qu'en ligne. Mais ce ne sera plus un magazine.
En kiosque, on trouvera encore en 2011, pour combien de temps, 8 parmi les nombreux guides et classements (U.S. News Rankings) que le groupe publie au terme d'enquêtes : éducation (meilleurs collèges, universités, lycées), santé (meilleurs hôpitaux selon les spécialités, maisons de retraite, assurance), automobile, voyages et vacances, droit (cabinets d'avocats), argent (placements, retraites, carrière), suivi des élus, de la Présidence... Des sortes d'annuaires assortis de conseils sous forme de classements (rankings).
Voici désormais les modalités de présentation du travail d'information effectué par le titre. Finie l'information générale, fini le magazine généraliste qui diffusait encore presque 1,3 millions d'exemplaires en 2009 et 1,7 en 2008 (Source : MPA). Le site compterait  9 millions de visiteurs uniques par mois (déclaration) ; le titre dispose d'une version iPad. Le papier ne sera plus qu'une vitrine du site.

Né en 1948 de la fusion de deux titres, l'hebdomadaire était devenu bi-mensuel puis mensuel en 2008. Le magazine n'avait pas suivi la peopelisation de ses deux concurrents hebdomadaires, Time et Newsweek (respectivement 3,3 et 2,3 millions d'exemplaires diffusés en 2009, Source MPA) et n'avait développé ni rubriques people ni sport.

Des enquêtes aux requêtes, telle est la mutation des métiers d'information : spécialisation, utilité. Les enquêtes alimentent des bases de données. Un article est d'abord la mise en scène d'une requête : Internet s'y prête particulièrement bien, bien mieux que le papier (personnalisation, interactivité).
U.S. News & World Report se targue de fournir à ses lecteurs des outils et des informations pour prendre les aider dans les décisions essentielles (santé, éducation, politique, etc.) : "We continue to look for new ways to provide information that helps people make important decisions" déclare le reponsable de la rédaction. Une telle évolution a commencé en France depuis de nombreuses années. Les guides d'achat sont nombreux (automobile, "grandes écoles", lycées, vin, santé, équipement de la maison, salaires, placements, montres, immobilier, etc.) ; ils représentent une part importante, sans doute croissante, des contenus ; ils semblent essentiels pour l'équilibre économique de beaucoup de titres.
N.B. L'évolution du U.S. News & World Report évoque celle du Washington Post dont le groupe vit principalement des revenus de sa filiale éducation (cf. Newspaper as a hobby).
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dimanche 7 novembre 2010

VOD anarchie

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La délinéarisation de la télévision et de la radio (VOD, podcast) redonne des degrés de liberté aux emplois du temps des auditeurs et téléspectateurs ; elle provoque un regain de réflexion sur le temps. Dans un article publié par la radio allemande (SWR2) et le quotidien taz (die tageszeitung), Till Roenneberg, spécialiste de chronobiologie, évoque l'anarchie temporelle ("zeitliche Anarchie") que pourrait provoquer le développement des consommations "à la demande".

Au-delà des modifications qu'elle entraîne sur le marché des médias, la délinéarisation aurait des effets psycho-sociaux moins immédiats, peu visibles mais profonds. Les programmes de télévision depuis un demi siècle programment les usages du temps : par exemple, selon les pays, l'heure des soaps de mi-journée, le 20H, le film du dimanche soir, "Téléfoot" (ne pas rater !), "Sesame Street"... Combien de foyers, de personnes vivent au rythme de la radio et de la télévision ? D'autres actes sociaux contribuent à l'institution de cette régularité : la livraison du journal, le passage du facteur, les sonneries de cloches, les horaires de l'école... (Cf. Our kind of town). Cette routine, ce train-train qui arrive presque toujours à l'heure sont le fond d'habitude sur lequel les événements prennent forme (Gestalt), grands ou petits, privés ou publics (Charles Trenet, "Les bruits de Paris"). Avec la délinéarisation des médias, des rituels s'estompent, des repères s'effacent, l'agenda devient plus "liquide", pour parler comme Zygmunt Bauman. Avons-nous la nostalgie de cette structuration temporelle ("unsere sehnsucht nach Struktur", dit Till Roenneberg). Structuration confortable et conformiste qui est sans doute aussi obstacle au changement.
Le numérique programme-t-il de nouveaux usages du temps ? Avez-vous, partageons-nous des habitudes Internet ?
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mercredi 3 novembre 2010

Local à tous prix : O2O

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Un nouveau mix marketing se met en place associant commerce local, téléphonie portable et Internet. La téléphonie portable et le marketing mobile débouchent inévitablement sur le commerce local et les petites entreprises (SMB). Des initiatives récentes permettent d'intégrer le téléphone dans un marketing très direct et interactif. On-line to Off-line ("o2o") ! C'est le retour de la "voix humaine" !

LocaLeads est lancé par ZipLocal, une entreprise d'annuaires couvrant la plus grande partie du territoire américain avec sa force commerciale (1 000 vendeurs sur le terrain plus 1 500 autres dits "indirects") et 300 annuaires papier. Elle compterait 300 000 annonceurs. LocaLeads recourt au téléphone pour tranformer en "lead" un message placé sur un site Internet : l'internaute qui voit le message (Internet mobile) est invité à appeler l'annonceur, généralement un commerçant d'une localité proche. D'un click, la connexion s'établit, et la vente peut commencer.

  • Le commerce annonceur a été taggé en quelques mots clés choisis par le commerçant lui-même. Chaque mot clé a un prix, l'annonceur paie au lead.  Le commerçant détermine un budget mensuel. 
  • LocaLeads crée le message, dont une version pour téléphone portable. Le numéro de téléphone est unique, attribué pour chaque campagne. Les appels sont enregistrés par LocaLeads et analysés pour détecter la présence effective d'une intention claire d'établir une relation commerciale (lead). 

Google AdWords propose un montage voisin. Un numéro de téléphone est inséré dans le message publicitaire : on peut mesurer, grâce à ce numéro unique, ce type de retour sur investissement en nombre et durée d'appels, voire de provenance géographique (AdWords call metrics).

Dans ces deux cas, la mesure et le paiement à la performance sont, pour l'essentiel, indiscutables ; l'originalité de LocaLeads tient à l'analyse et à l'évaluation d'une conversation (à voir). Dans ces deux cas, la relation est assurée entre on-line et off-line, l'attribution est indiscutable.
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News Corp. et Rubicon

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Alea jacta est. Un groupe média franchit le Rubicon. Le jeu de mots est facile et ne vaut pas cher, je le concède. Pourtant, il marche bien. News Corp. vient d'échanger la régie Internet de ses sites (Fox Audience Network, FAN) contre une participation dans Rubicon Project. S'associant à Rubicon, News Corp. ajoute des technologies de place de marché à ses régies.
News Corp. rejoint le camp des éditeurs qui dénoncent les serveurs de publicité (ad servers) et les réseaux publicitaires (ad networks) : le Manifesto de Rubicon est clair sur ce point. La philosophie de cette union est conservatrice : restaurer le poids de certains éditeurs, détenteurs autoproclamés de contenus "premium", ne concevant Internet que comme un média secondaire, complémentant des médias nobles.
Ce franchissement est symbolique, cohérent avec l'enfermement des sites de presse du groupe News Corp. derrière des octrois et la campagne récente du Wall Street Journal (racheté par News Corp.) contre les identifiants uniques (cookies). On peut y lire une réaction contre l'esprit d'ouverture, de gratuité, de liberté et d'égalité qui préside au développement d'Internet. Derrière un comportement de rationalisation technologique de l'activité de régie se profile un comportement réactionnaire, au sens strict du terme.
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Publiphiles et publiphobes

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Ah! ces petits mots grecs, si commodes, tellement flous en français ! Un sondage établit que la publiphobie augmenterait. A première lecture, l'affirmation semble claire. Pourtant, comment interpréter cette horreur, cette crainte de la publicité ? Etrange maladie.
D'abord, à quelles conditions un consommateur "aime"-t-il la publicité "en général" ? La question "générale" est bizarre, car elle ne se pose guère... que dans les sondages. Voyons plutôt quand, à quelle occasion notre consommateur "aime" un message publicitaire particulier ? Il "aime"(philein, φιλεῖν) ce message s'il lui est utile (information commerciale tombant à point, exploitable à court ou moyen terme) ou / et agréable (humour, rêverie, curiosité, etc.). Si le ciblage est bien conduit, si le message atteint le "bon" consommateur, au "bon" moment, alors ce consommateur est, à l'occasion de ce message, publiphile sans le savoir, sans même s'interroger car il ne se pose pas ce genre de question. En cas contraire, il sera, pour l'occasion, publiphobe, sans le savoir, pour la même raison. Il est raisonnable de ne pas aimer, de ne pas rechercher la publicité dont on n'est pas la cible.
Un même consommateur passera donc, tour à tour, en quelques instants, au gré des rencontres publicitaires, pratiquement, de la publiphobie à la publiphilie. Le temps d'un écran pub à la télé, d'un site sur Internet, d'un couloir dans le métro.

Cette opinion publique n'est que le produit d'un sondage. Qui n'est pas sondé n'a pas d'opinion sur le sujet. Mais qui donc accepte d'être sondé ? De qui le sondé est-il représentatif ? Son opinion est la réponse à une interrogation simplificatrice : questions fermées (type cafetaria : choix limités et exclusifs). Sa réponse est pré-formatée. C'est une déclaration dans l'air du temps, conforme sans doute à ce que le sondé croit que le sondeur attend (causalité du probable) ?
Poser de telles questions, hors contexte, abstraitement, c'est imposer à des consommateurs des questions qu'ils ne se posent pas, c'est inventer pour eux des positions "théoriques" à "prendre". La publiphobie, la publiphilie, n'existent pas. Ce sont des inventions, des artéfacts de sondage, et des maronniers.
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