jeudi 3 mars 2011

Journalisme, Maghreb et Proche Orient

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De tous les médias, celui qui l'emporte dans la couverture des révoltes populaires, c'est la chaîne arabophone Al-Jazeerah. Elle l'a emporté en notoriété, en réputation. Grâce à ce succès, la chaîne peut négocier sa distribution par les principaux câblo-opérateurs américains, Comcast, Time Warner Cable, Cablevision. Elle  n'était jusqu'à présent reprise que par le petit réseau de Burlington (Vermont) où sa présence était contestée parce qu'anti-américaine et anti-isreaélienne. La chaîne a également lancé deux chaînes sur YouTube, en arabe et en anglais.
Al-Jazeerah tire profit de sa meilleure connaissance du terrain : ses journalistes parlent arabe, connaissent les cultures politiques des pays concernés. En fait, ce n'est pas tant la présence extra-ordinaire dans les pays en crise - à quoi revoie l'image romantique du correspondant de guerre (Hemingway, etc.), déguisé en soldat, "parachuté", sautant sur l'événement - que la présence ordinaire qui permet de comprendre et d'expliquer.
Les médias traditionnels occidentaux paient leur complicité avec les gouvernements, leur méconnaissance des terrains, des langues, des cultures, journalisme d'envoyé spécial, journalisme d'événement. Al-Jazeerah rappelle que la star, c'est la population pas le journaliste. Quant aux réseaux sociaux, leur rôle dans l'information ne doit pas être confondu avec leur rôle éventuel dans l'agitation politique. Ils attirent l'attention, animent des groupes comme l'ont fait autrefois les tracts, les affiches, la presse militante. L'information résulte d'une vérification des faits et de leur interprétation. Al-Jazeerah n'échappe pas à cette interrogation en établissant un tableau de bord de l'acitivité sur Twitter.
Le journalisme doit s'inspirer aussi de l'Ecole des Annales, associer le temps long à l'événement, mais aussi de l'épistémologie sociologique pour interroger les "faits" dont on ne dira jamais assez qu'ils sont "faits" (comment, par qui). Ce qui pose la question du métier de journaliste, de la formation de journaliste et surtout de sa fonction, pédagogique ou démagogique, expliquer ou plaire. Voyez Montaigne : "Et les bons historiens fuient comme une eau dormante ou une mer morte les narrations étales, pour retourner aux séditions, aux gueres où ils savent que nous les appelons" (Essais, III, 12).
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1 commentaire:

Laura Valentin a dit…

Il est vrai que le rôle des réseaux sociaux dans l’information ne doit pas être confondu avec leur rôle éventuel dans l’agitation politique. C’est ce qui s’est passé avec les révolutions arabes. Dans son ouvrage Réseaux sociaux et révolutions arabes ? le militant et blogueur marocain Mounir Bensalah affirme qu’en Occident, Facebook, Twitter et Youtube ont été trop souvent présentés comme des détonateurs de ces révolutions. Pour lui, les réseaux sociaux ont davantage servi à informer et à attirer l’attention des médias étrangers et à les alimenter en images.

Car le cyber activisme au Maghreb et au Proche-Orient est circonscrit à une poignée de jeunes citadins au niveau d’instruction élevé. Al Jazeera établit un tableau de bord de l’activité sur Twitter, et pour cause, comme ses concurrentes CNN, BBC World News, etc. Al Jazeera English propose beaucoup d’émissions qui font appel aux réseaux sociaux (reactions des internautes sur Twitter par exemple), notamment The Stream, décrit par le site de la chaîne comme « an aggregator of online sources and discussion, seeking out unheard voices, new perspectives from people on the ground and untold angles related to the most compelling stories of the day ». C’est une émission phare de la grille d’Al Jazeera English, pourtant son équivalent n’existe pas dans la version arabe de la chaîne.