vendredi 18 mars 2011

Politique des prix d'un quotidien : le NYT et son paywall

.
Mise en place d'une nouvelle politique des prix pour la lecture du New York Times (NYT) en ligne (tests en cours au Canada). Le quotidien offrira désormais 20 articles gratuits par mois, par lecteur. Au-delà, il faudra payer ou ne plus lire le NYT et aller chercher son information ailleurs (paywall). Lorsqu'ils atteindront la limite des 20 articles (un compteur est mis en place), les lecteurs seront invités à s'orienter dans une politique des prix compliquée, selon qu'ils sont abonnés par portage à l'édition papier, qu'ils sont abonnés sur e-reader (Kindle, Nook), qu'ils utilisent un smartphone, une tablette, etc. (cf. le FAQ du NYT)

Comment interpréter cette politique des prix du point de vue des lecteurs ? Il leur faut gérer ce potentiel de 20 articles gratuits avec parcimonie, au compte-gouttes. Et, sur le Web, ne plus s'adresser au NYT pour glaner ou survoler n'importe quelle information banale, courante, qu'ils pourraient trouver ailleurs, partout. Il leur faut réserver ce potentiel aux articles exclusifs, originaux, indispensables.

De facto, chaque lecteur est ainsi invité à se construire son NYT premium, sur mesure. La lecture du quotidien devient geste calculé. Finie la lecture en passant, "oisive" que stigmatisait Nietzsche. La politique des prix du quotidien en ligne engage une lecture gérée, voire pré-méditée. Pourquoi pas ? Elle induit un journalisme à deux vitesses et un nouveau type de contrat de lecture en ligne. D'un côté, un journalisme de papotage, de PR, de rapportage, financé par le contexte publicitaire ; de l'autre, un journalisme d'investigation et d'analyse, payé directement par le lecteur. Les deux lectures n'ont en commun que de compter, pour leur modèle économique, sur l'exploitation des cookies.
Puis vient la lecture du troisième genre, au gré de twitts, de liens sur Facebook et de flux RSS. Celle-ci ne sera pas comptabilisée (sauf pour les moteurs de recherche). Cette lecture est donc encouragée et elle privilège les réseaux sociaux par rapport aux moteurs de recherche.
Ensuite, il y a la lecture de la "Une", vitrine publique toujours libre d'accès sur la plupart des supports numériques. Et, enfin, la lecture des articles archivés (1923-1986).

La nouvelle politique des prix du NYT s'avère, en acte, une théorie de la pratique de lecture à l'époque des supports  numériques. Cette théorie s'organise à première vue en couples de notions :
  • lecture choisie, délibérée / lecture de rencontre, du tout-venant (non trié, sans curation) ; 
  • articles exclusifs à valeur journalistique ajoutée / articles courants, banal (banalisé) ; 
  • lecture recommandée (par des pairs, des "amis", etc.)  / lecture trouvée au terme d'une recherche par mots clefs.
Chaque lecture a son prix, son coût de transaction ; chacune aura son coût de production (feuille de temps pour les journalistes ?), son chiffre d'affaires, son taux de marge. Cette politique des prix précipite une comptabilité analytique de la lecture (au sens fort d'analytique, puisqu'elle provoque chez les lecteurs une décomposition des actes de lecture). Premiers pas pour une gestion non intuitive de la production et de la distribution de l'information.


N.B. Parce que cela n'est pas neutre, épistémologiquement, mentionnons le cas de ceux (professionnels des médias, personnel politique, "patrons", chefs d'entreprise, etc.) qui ne paient pas leur information ("services de presse", notes de frais, abonnements gérés par des secrétaires etc.) : ils n'entreverront rien des effets de la politique des prix (gestes, coût, ergonomie), car, pour eux, tout information payante a l'air gratuite. Comme ils sont souvent ceux qui opinent à tout-va, mieux vaut être lucide quant à leur cécité structurelle.
.

Aucun commentaire: