dimanche 5 juin 2011

Modèle économique : Témoignage Chrétien

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TC, juin 1944. Source : Archives de la vie littéraire sous l'occupation, 2011Ed. Taillandier, IMEC, p. 369
Témoignage Chrétien (TC) est un hebdomadaire sur papier journal, se positionnant depuis toujours à "gauche" ("l'info qui résiste", "la résistance spirituelle"). Titre issu de la Résistance, lancé dès novembre 1941 (Cahiers puis Courrier français du Témoignage Chrétien) quand une bonne partie des chrétiens, des médias et des journalistes français collaboraient sereinement. Après la Libération, l'hebdomadaire ne trahit pas ses principes et prit position contre la colonisation. TC fut aussi à l'origine de Télérama dès 1947. Peu de titres peuvent se vanter d'autant de lucidité politique et d'anticipation média.

Changement de modèle économique
Pour ses 70 ans, à partir du 17 juin, TC renonce à la distribution en kiosque ; il ne sera plus guère accessible que par abonnement (111 €/an). Le titre compta 80 000 abonnés dans les années 1950, il en compte actuellement 8 000 plus 4 à 500 exemplaires vendus au numéro (source : TC). Avec 48 numéros, ce sont quand même, chaque année, plus de 400 000 exemplaires achetés et payés par des lecteurs.
Absent des points de vente, TC compensera le déficit de visibilité, dit la rédaction, par sa présence sur le Web et dans quelques librairies.
La réussite de ce modèle économique passe, à tout le moins, par le travail de référencement sur le Web et par l'invention d'interactions de lectures entre journal et Web, journalistes et lecteurs. Un contrat d'information ? Le Web pourrait apporter bien plus que de la visibilité à un tel titre qui sut, dans des situations dramatiques, constituer un "lien" (cf. supra, son sous-titre).

Qui peut s'inspirer d'un tel modèle ?
TC vit de ses lecteurs, directement, pas de leurs consommations. Sauf cas particuliers, annonceurs et conseils média l'ignorent.
L'abonnement postal est commode, il est subventionné (tarifs préférentiels). Le fichier des abonnés permet, éventuellement, des opérations de marketing direct ciblées. Finis les invendus : tirage = diffusion payée.
TC, juin 2011
Ce modèle, "tout postal", est déjà celui d'une grande partie de la presse professionnelle (B2B), pour laquelle, il constitue sans doute une étape vers le "tout numérique". Presse militante et presse professionnelle présentent des points communs : précision du ciblage, caractère indispensable et exclusif de l'information pour les lecteurs, régularité et fidélité du lectorat.
Pour la presse militante, qui dépend peu de l'événement, qui ne fait pas d'effets de manchette,  le kiosque apporte peu. Déjà, cette presse n'est présente que dans un nombre restreint de points de vente, et, lorsqu'elle est présente, ces points de vente ne lui apportent guère de visibilité car ses titres sont relégués aux confins des linéaires, attendant que le chaland les débusque ou les demande.

Vive l'abonnement ?
C'est le modèle économique le plus transparent, le plus vertueux pour l'économie des médias : le lecteur achète sa lecture, son concert, son film...
L'abonnement, c'est aussi une lecture de la loi Bichet. Comment faire pour qu'il participe à la visibilité qu'installe cette loi ?
Reste, le Web l'a mise au goût du jour, la question des fichiers. L'abonnement comme l'adhésion impliquent un fichage (opt-in), en comparaison duquel le cookie du Web paraît inoffensif. Associées, adresse postale + adresse IP constituent un fichier marketing (ou politique) d'une rare qualité : l'adresse est nécessairement mise à jour chaque année, au moins. Qui veut être discret, prudent, achète en kiosque, paie en liquide au lieu de payer un abonnement par chèque ou carte.
Quid d'un abonnement qui serait pris et servi en kiosque ?
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5 commentaires:

Anonyme a dit…

bonsoir François,
attention, révisez vos classiques(wikipedia n'est pas à jour...): l'actionnaire majoritaire de TC est H.Debbasch depuis bien longtemps et Jacques Maillot ne l'est plus...
Quant à l'analyse du modèle économique de l'hebdo, oui il est défaillant depuis plusieurs décennies et reste toujours à définir, malheureusement...
Cdlt,
Gouzon

Prof. François MARIET a dit…

Mea maxima culpa. Dont acte. J'ai retiré la mention de l'actionnariat en attendant de savoir avec certitude ce qu'il en est (quid de Bayard, du Monde, du Monde Diplomatique...).
L'essentiel reste la question du modèle économique de la presse militante, formant l'opinion et qui ne peut compter sur le même financement qu'une presse qui forme les consommations. Renvoie peut-être àla question du financement des partis, des associations, etc.
Merci pour le rappel à l'ordre. Mes étudiants vont apprécier qui avaient déjà évoqué cette qestion à propos de l'histoire de la naissance de Télérama (j'avais tort, déjà !).

Sebastien a dit…

A partir du moment où il se retire de la vente en kiosque, un tel journal n'aurait-il pas intérêt à se retirer complètement du "print" pour n'avoir plus qu'une présence en ligne? Mais la direction du journal n'a peut être pas voulu brusquer ses lecteurs dont la moyenne d'âge ne doit pas être inférieure à la soixantaine (et donc encore relativement rétive à l'utilisation massive d'écrans comme support de lecture, sans parler de sa maitrise supposée plus que limitée d'internet)

YB a dit…

La conclusion de l'article, sur la confidentialité du fichier client, est surprenante. Faut-il lire TC en cachette ? A moins qu'il s'agisse d'un hommage déguisé au christianisme des catacombes...
YB

Prof. François MARIET a dit…

Merci YB. Sans doute, me suis-je mal exprimé. TC est pour ce post une occasion de suivre une innovation de la presse en matière de modèle économique (elles ne sont pas si nombreuses). Avec le Web, le débat sur la vie privée est central. J'indique seulement qu'un tel débat concerne également l'abonnement (en presse, en TV, notamment) et la distribution postale (presse, DVD).