jeudi 4 avril 2013

Psychologie du retargeting

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Le re-ciblage (retargeting) correspond à l'exploitation d'un "acte manqué" (cf. infra) analysé comme symptôme d'une intention, notamment d'une intention d'achat : sont re-ciblés par l'action publicitaire (remarketing) des internautes dont le comportement manifeste une intention commerciale ; ils ont cherché un produit avec un moteur de recherche (search retargeting), ils ont effectué, sur des sites d'annonceurs, diverses actions (cherché une information sur un produit, comparé des prix, regardé une vidéo publicitaire, etc.). On considère qu'ils ont failli, tenté, manqué d'acheter un produit ou un service et ne sont pas allés au bout de leur geste.
En acte, ils auraient marqué un intérêt, et, en acte toujours, un désintérêt, puisqu'ils n'ont pas acheté (shopping cart abandonment, cf. Listrak). Du raté commercial, l'on conclut qu'il trahit une intention, oubliant l'autre force, de valeur égale, celle qui a interrompu et bloqué la démarche. De l'achat manqué (cas particulier d'acte manqué, comme le lapsus, l'oubli d'un nom, etc.), on n'interprète que le visible (la visite) pour déclencher une action publicitaire personnalisée ; on laisse de côté le "négatif" qui contient sans doute autant d'informations sur le client potentiel (ses réticences, l'image et les connotations du produit, etc.). Le symptôme, l'acte manqué, est la résultante de deux forces.

Pour l'internaute, un acte manqué peut être un acte réussi. La visite "incomplète" du site commercial est le compromis d'une intention (d'achat) et d'une censure, d'une défense : l'intention de ne pas acheter. Le reciblage passe outre, insiste et re-tente l'internaute (perseverare diabolicum!).
Pour ne pas manquer l'acte manqué, l'annonceur qui recible intervient le plus tôt possible, dans les moindres délais. Le retargeting lutte contre l'oubli, contre la rationalisation de l'acte manqué qui est une dissonance cognitive provisoire ("j'ai eu raison de ne pas acheter, je n'ai pas assez d'argent"). D'où l'importance du "temps réel", de la récence (cf. simpli.fi estime empiriquement l'optimum d'efficacité du retargeting entre 5 et 30 minutes). Ce qui, notons le au passage, souligne l'intérêt de qualifier la répétition dans un plan média en prenant en compte son rythme, la durée séparant deux actions publicitaires (cf. H. Ebbinghaus et sa courbe d'oubli, Vergessenskurve). Pourrait-on appliquer le bêta de Morgenzstern au reciblage ?
  • Nous excluons ici le reciblage des internautes qui ont acheté et à qui l'on propose un autre produit de la marque, en affinité. A ceux qui n'ont pas acheté, l'on peut proposer un même produit d'une autre marque, d'une autre gamme de prix.
  • Le reciblage anticipé est un moyen de gérer la répétition nécessaire à la transformation (effective frequency). Il peut être aussi un moyen d'éviter le développement d'une dissonance cognitive dont l'aboutissement peut être un repentir (cf. la notion juridique de "droit de repentir").
  • Dans l'attribution, on attribue au reciblage une responsabilité exagérée puisque l'attribution va au dernier intervenant avant la transformation. Ce qui est plus facile que de déterminer les parts de chaque action.
  • A rapprocher de la "fièvre acheteuse", pathologie dite aussi "oniomanie" : plaisir ou folie d'acheter. 
L'avenir du reciblage est dans la mise en oeuvre de dispositifs pluri-média, on- et off-line. S'adresser à ceux qui sont allés dans le rayon, ont pris un produit en main et l'ont reposé sans rien acheter. Ainsi, Facebook cible les prospects en s'appuyant sur les données de cartes de fidélité réunis par Datalogix (achats off-line). S'adresser à ceux qui ont regardé un produit sur un site, n'ont pas acheté et leur représenter le produit et sa promotion lorsqu'il se trouvent à passer non loin d'un linéaire vendant le produit (il faut des applis pour cela sur le smartphone). Un tel reciblage, plus qu'une insistance et une répétition très vite désagréable, peut s'avérer une variation utile et un enrichissement de la communication pour le consommateur.

Références
  • L'acte manqué est une notion psychanalytique décrite par S. Freud dans la Psychopathologie de la vie quotidienne (Zur Psychopathologie des Alltagslebens. Über Vergessen, Versprechen, Vergreifen, Aberglaube und Irrtum,1904), puis dans son Introduction à la psychanlyse (Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1916). Pour les traductions du terme "acte manqué", voir le Vocabulaire de la Psychanalyse (J. Laplanche, J.B. Pontalis, Paris, PUF, 1967). Fehlleistung, le terme employé par Freud désigne en allemand une action manquée, ratée (du verbe fehlen). L'anglais recourt à une innovation lexicale forgée sur le grec pour désigner la Fehlleistung : parapraxis.
  • Retargeting : pour une définition par des acteurs majeurs de ce marché, voir, entre autres AdRoll, CriteoReTargeter.

1 commentaire:

Six Elas a dit…

Intéressant parallèle, qui me donne envie d'une petite réaction :

L'acte manqué chez Freud est défini comme l'expression de l'inconscient, par opposition à l'acte conscient et réfléchi.

Est-ce que le fait de rechercher un produit, en comparer ses prix et regarder une publicité constitue une démarche inconsciente ?

Ou est-ce ici le fantasme du publicitaire que de réussir à définitivement ancrer dans l'inconscient de ses cibles le désir d'acheter ses produits ?

Intéressante réflexion !