mardi 31 décembre 2013

Binge viewing : nouveau régime télévisuel


Netflix, qui a inauguré le binge-viewing en avril 2013 avec "House of Cards", a fait conduire une enquête pour mieux connaître le régime de consommation télévisuelle de la génération que l'on a baptisée, c'était à craindre, "binge-viewing generation" : près des deux tiers des Américains regardent deux à trois épisodes d'une même série chaque semaine, compromettant à terme la consommation linéaire de la télévision et inculquant le binge-viewing dans une définition toutefois plus modeste qu'on ne l'imaginait.

L'intérêt des résultats de l'enquête pour Netflix est la construction d'un argumentaire afin de négocier ses accords de streaming avec les producteurs de séries et défendre le "stream and binge" ! L'enquête confiée à Harris a été menée auprès de 3 078 personnes, en novembre 2013. Elle est complétée à fin d'analyse par des entretiens en vue de dégager les raisonnements tenus par les téléspectateurs et leur manière d'aborder la question du binge viewing (en quels termes, etc.).
Les résultats sont sans surprise renversante : en matière de binge viewing, les téléspectateurs américains s'en tiennent à quelques épisodes : 3 à 6 en une fois. Ce n'est donc que très rarement une saison entière, un week-end complet comme on a pu le croire.
Netflix a également communiqué deux statistiques sur la structure et le rythme de la consommation :
- pour une série de 13 épisodes : 25% des épisodes sont regardés en deux jours, 48% en une semaine
- pour une série de 22 épisodes : 16% des épisodes sont regardés en deux jours, 47% en une semaine

De plus, les téléspectateurs commencent rarement de regarder une nouvelle série avant d'avoir regardé tous les épisodes de la précédente.

Pour Noël, la série animée pour enfants "Turbo: Fast" a été livrée en une première tranches de 5 épisodes. Les autres tranches seront proposées plus tard, à l'occasion d'autres fêtes. Le binge viewing est susceptible de divers aménagements.

Netflix voudrait, semble-t-il, guérir les Américains de la culpabilité télévisuelle qui les hante. La télévision a été qualifiée de drogue ("plug-in drug"), les téléspectateurs de "couch potatoes" ; la télévision a été déclarée responsable des échecs scolaires, de l'obésité, de la violence... Or, le mot "binge" connote la gloutonnerie, l'excès... Fallait-il accepter ce terme peu flatteur ? Le danger semble passé, l'expression se banalise et la pratique conquiert les téléspectateurs. On parle aussi de "marathoning" pour désigne la consommation de 3 épisodes par jour ou plus.
Aux antipodes de la culpabilité, le binge-watching se mérite : HBO GO (cf. infra sur Twitter) propose aux étudiants qui viennent de terminer leur session d'examens ("FinalsWeek", début décembre) de se laisser aller et de s'octroyer de longues tranches de séries (binge watching). "O récompense après une pensée..."


New York : la presse s'estompe...


Newspaper vending machine
en état de marche à Chinatown
La presse se fait rare dans les rues de New York. Peu de kiosques ouverts, presse rarement présente à l'étalage des petits magasins ; quant aux "newspaper vending machines", elles ont presque disparu du paysage urbain. Il y a trente ans, Gannett en avait installé partout aux couleurs de USA Today ; les machines étaient conçues comme des écrans de télé où l'on pouvait regarder les grands titres du jour... USA Today, national, allait concurrencer la télévision avec son grand titre et sa photo centrale, "above the fold". Ecran contre écran !

Aujourd'hui, les distributeurs automatiques de journaux sont en piteux état ; souvent vides, ils ne vendent plus guère... que des gratuits (parmi les exceptions : le China Daily cf. ci-contre).
Absence de visibilité, absence de notoriété, absence de publicité (d'existence publique). Ces absences ne sont pas, ne seront pas, compensées par les indispensables présences numériques. Ce manque à voir rappelle combien la presse est un média mixte qui doit s'afficher.

Penser la presse dans la ville, c'est davantage que penser la presse : c'est aussi penser la place publique comme lieu d'idées, d'échanges, de conversation. Les réseaux sociaux numériques ne remplacent pas la place publique. Penser la présence de la presse dans la ville, l'aider, la stimuler est un problème politique, par définition. Pourquoi ne pas donner à la presse un privilège d'affichage numérique dans les lieux publics ? Un pauvre urbanisme commercial sans idées a remplacé les points de vente presse des centres villes par des boutiques de téléphonie (cf. La presse dans le quartier) : nos villes ont besoin de mettre des médias au cœur de l'urbanisme.

Distributeurs automatiques (7ème Avenue / 23 ème rue)
N.B. Place publique : l'agora (ἀγορά, du verbe ἀγείρω, "assembler"), place publique d'Athènes où, ainsi que dans les échoppes qui l'entouraient, se construisait et se discutait la vie publique à l'époque de Démosthène et Périclès. Cf. Sian Lewis, News and Society in the Greek Polis, 1996, University of North Caolina Press, 206 p., Bibliogr. Index

dimanche 29 décembre 2013

Facebook uncool ?

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A partir d'un travail universitaire, financé par l'Union européenne, un chercheur déclare que, pour les jeunes de Grande-Bretagne, Facebook est "mort et enterré" : "it is basically dead and buried".
Cette affirmation a été reprise par de nombreux médias, telle quelle.
La formule résume les conclusions tirées d'une étude ethnographique. Selon cette étude, laissant Facebook à leurs familles, les jeunes de 16-18 ans se tourneraient vers d'autres réseaux, d'autres applis : Snapchat, Instagram, Twitter, WhatsApp.

La question que suggèrent ces conclusions est surtout celle de leur crédibilité, et d'abord de leur possibilité scientifique. Car, en fait, que peut-on savoir ?
A quelle méthodologie se fier ? Comment des adultes, des chercheurs peuvent-ils savoir ce que pensent et font les adolescents, en général, et en matière de réseaux sociaux, en particulier ?
  • De quelle ethnologie relève cette recherche ? S'agit-il de déclarations ? S'agit-il d'observations ? Conduites dans quelles conditions sociales (tout enquête établit un rapport social) ? Pendant combien de temps ? La situation d'observation ne risque-t-elle pas de perturber les personnes observées (observer effectHawthorne effect) et d'en affecter les comportements ?
  • Qui sont les adolescents enquêtés ? A quels milieux sociaux appartiennent-ils, quel est leur situation scolaire, avec ce que ceci implique de maîtrise des codes langagiers, de capital culturel, de capital social, etc. ? Des garçons, des filles ? Quel est leur équipement numérique ? Comment ces variables affectent-elles leurs opinions, leurs attitudes, leur expression ? Car comment imaginer quelque unanimité...
La question raisonnable et primordiale paraît plutôt : à quelle(s) condition(s), non intrusive(s), pourrait-on savoir ce que les adolescents font et pensent de Facebook et d'autres réseaux sociaux ? Quel pourraient-être les modes de production d'un tel savoir, leurs limites ? Comment le valider ?
En communiquant les conclusions d'une telle enquête au grand public, le chercheur laisser croire que l'on peut savoir, que c'est simple, alors que justement, comme l'on dit avec Facebook : "it's complicated". On reconnaît là les problèmes de la vulgarisation et de la communication aux non-spécialistes : le grand public demande des prophètes du monde social et il leur demande des propositions simples et frappantes, des révélations. Difficulté du métier de journaliste.

Une partie de la réponse à la question du public de Facebook se trouve chez Facebook (et Instagram), sans doute à partir d'une étude longitudinale des membres, de leurs comportements, de leurs interventions sur le réseau.
Facebook, j'imagine, se pose ces questions. J'imagine aussi que le chercheur a interrogé Facebook...
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jeudi 26 décembre 2013

Réseau social de mamans : actes de paroles

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Parole de mamans, (PDM) est un "magazine participatif". Les mères, actuelles et futures, peuvent en être rédactrices et lectrices (les pères aussi d'ailleurs), blogueuses et ambassadrices. C'est une communauté, où l'on recommande, partage, échange, témoigne, conseille ; un forum aussi.
C'est un magazine qui s'organise en réseau social, en réseau de blogs et de sites. Et sur son site, on peut feuilleter le magazine : c'est aussi le magazine d'un réseau.
Le magazine-réseau est aussi actif sur Facebook (42 000 like), sur Twitter (5 000 followers), et sur YouTube et Dailymotion avec des vidéos, et sur Pinterest et Instagram avec des photos.
Et il y a aussi des hors-série (loisirs créatifs, cuisine, guide d'achat), des numéros spéciaux (guides, Best of, etc.).
Et ce n'est pas terminé car il en manque encore : il n'y a pas d'applis pour smartphones...
Parole de mamans est en train de devenir un magazine total s'adaptant à un lectorat complexe, à des centres d'intérêt multiples, des pratiques de communication changeantes, pour des femmes plus qu'actives, co-managers de foyers avec enfants, foyers de plus en plus compliqués, fatigants souvent, et passionnants. Avec plus de 820 000 naissances chaque année en France (INSEE, 2012), le potentiel de croissance et d'invention de ce multi-média est imposant.

Un magazine, ce n'est vraiment plus ce que c'était il y a vingt ans. Enfin, oui et non.
  • La distribution des contenus s'est diversifiée ; donc l'organisation de ces contenus est complexe, moins linéaire : il y a désormais beaucoup de triage et d'aiguillages dans le chemin de fer. 
  • Le revenus se sont diversifiés. La publicité, c'est à la fois des pages dans le magazine et du display en-ligne ; s'y ajoutent maintenant les data de toutes provenances (first party : comportements, blogs, abonnements, etc.). Le ciblage peut aller du plus fin (n jours de grossesse, âge des enfants, département... et l'on croise...) au plus large (parents, femmes). La commercialisation de cet espace et de ces données par une régie est devenue un métier technique : trading desk, clusters, RTB, SSP, etc.  N.B. Parole de mamans participe à une offre de couplage Web avec aufeminin.com, netmums, lancé début 2013. Besoin de volume ?
Ce qui n'a pas changé, c'est le contenu, le rédactionnel, ce qui fait que la lectrice feuillette, lit, écrit, parcourt, partage, reprend en main pour suivre une explication, consulte pour trouver une information, un modèle, copier une adresse, un lien, une recette...
Le magazine et le site sont aussi écrits en partie par des parents/lecteurs, certes mais, au travail traditionnel de rédaction, cette participation ajoute l'animation et l'orchestration du réseau tous-azimuts dont le magazine est le cœur.

De plus en plus orienté pratique plutôt qu'opinion, un média comme celui-ci n'a plus de définition simple qui soit opérationnelle. Parole de mamans est devenu un objet médiatique nouveau : complexité d'usages, de supports, de lectures, de revenus. Cette complexité, cette effervescence continue, les outils de mesure et de commercialisation courants ne savent pas en rendre compte, ne peuvent pas les faire valoir pleinement. Seule sans doute la commercialisation par la data peut synthétiser, organiser et valoriser tous les aspects de cette "audience".
Audience ? Diffusion ? Lectorat ? Contrat de lecture ? Comme cette terminologie semble désormais surannée, mal adaptée pour décrire les activités de communication dont Parole de mamans est le sujet et l'objet, dont il traduit le besoin, et l'occasion ! Et ce n'est pas le recours à la notion si confuse d'engagement qui peut y ajouter quelque clarté.


Trimestriel, 2,9 € le numéro, 10 € l'abonnement annuel.
Lancé en octobre 2006.
81 300 exemplaires mis en distribution (Source : OJD, le magazine est classé dans la presse périodique gratuite d'information, depuis 2009).
Le réseau déclare 400 000 membres.
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mardi 24 décembre 2013

Presse nationale + presse régionale = plus de presse plus nationale

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Le groupe américain Gannett dispose dans la presse grand public de deux actifs : 81 titres régionaux (community newspapers) et un titre national, USA Today (seul titre de presse quotidienne nationale généraliste aux Etats-Unis, et premier quotidien américain par sa diffusion totale). Ensemble, ces titres représentent un lectorat quotidien papier de 11 millions de personnes.

Project Butterfly
Le groupe va insérer une version condensée de USA Today dans 31 de ses titres régionaux sous la forme d'une section nationale de 12 à 14 pages intitulée Butterfly (10 pages les jours de semaine, une vingtaine le week-end). Ceci ajoutera 1,5 millions de lecteurs en semaine, 2,5 millions le dimanche à la diffusion du quotidien national. L'AAM (Alliance for Audited Media, ex. ABC, équivalent de l'OJD en France) a donné son accord pour que la régie publicitaire cumule les diffusions locales et nationales de ButterflyUSA Today. Sa pénétration n'en sera que plus nationale.

La diffusion papier de USA Today est de 1,3 million de personnes par jour (lundi-vendredi, Source : AAM). A cela s'ajoutent les éditions numériques, le total atteignant 2,88 millions d'exemplaires puisque, aux Etats-Unis, depuis 2012, les éditeurs peuvent prendre en compte dans leur diffusion totale les diffusions numériques (tablettes, smartphones, ordinateurs).
L'ensemble désormais représentera chaque jour plus de quatre millions d'exemplaires.

On peut y voir un juste retour du national vers le local : lors de son lancement, en 1982, USA Today créa une section régionale qui donnait quelques brèves d'information essentielle pour chacun des états américains, information fournie par des titres du groupe. De même, les imprimeries des titres régionaux ont permis la couverture nationale de USA Today, les pages quadri étant transmises par satellite depuis Washington D.C. vers des imprimeries régionales. Le national s'appuyait alors sur le local ; désormais, le local s'appuyera sur le national.

Volume publicitaire et big data
Cette opération n'est peut-être qu'une première étape dans la reconfiguration de l'offre publicitaire du groupe. En plus de la presse, Gannett possède une centaine de sites Web et 42 stations de télévision locale (touchant ensemble un tiers des foyers TV américains depuis l'achat de Belo Corp. le 23 décembre 2013. Cf. Concentration dans la télévision américaine). La combinaison de tous ses actifs donne à cet éditeur une offre data particulièrement riche conjuguant, pour les mêmes personnes, des centres d'intérêt locaux (commerce local, notamment) et nationaux (marques).

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samedi 21 décembre 2013

Beyoncé, lancement sans bruit, sans publicité

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Le nouvel album "Beyoncé" est un succès de ventes. De ventes numériques. Effet de surprise. Lancé aux Etats-Unis, le 13 décembre 2013 à minuit, en exclusivité sur iTunes (Apple). Pour 15,99 dollars, 14 titres et 17 vidéos : binge-listening d'abord ! La vente à l'unité commencera une semaine après, le CD encore plus tard, sans doute, juste avant les fêtes.
Un lancement purement numérique est moins cher, assure la discrétion des préparations et limite les risques de fuites. Succès considérable pour iTunes.
Evidemment, la distribution classique n'a pas apprécié : le groupe Target a déclaré que ses magasins ne vendraient pas le CD à sa sortie (mais Wal-Mart a pris le contre-pied et vendra). Amazon est hors jeu.

Lancement sans publicité. Réussite hors conteste. Escalade de superlatifs ("fastest selling album ever on the digital music store") et surenchères d'annonces : 600 000 albums vendus en trois jours aux Etats-Unis, plus d'un million dans "le reste du monde"... tant et tant de records annoncés comme des scores.
L'événement est construit sur et par les réseaux sociaux : annoncé sur Instagram, repris par Facebook, Twitter, etc. Les réseaux et les blogs ont propagé et multiplié la nouvelle de la publication. Le bouche à oreille a fait le reste. Les médias sont hors jeu.
Variante de la stratégie du Blockbuster ? Rare réussite, de plus en plus rare dans le show business de la musique (Adele, Lady Gaga, Timberlake, peut-être). Ce lancement constitue une remise en chantier des stratégies commerciales : binge, lancement instantané, sans préparation visible (no advance marketing), pas de single, pas de RP, de promotion, etc. (comme l'ont fait en 2013 déjà David Bowie pour "My Bloody Valentine mbv" ou Death Grips pour "Government Plates").

Toutefois, attention à l'attribution. Ne perdons pas de vue qu'un tel lancement est porté par un énorme capital de notoriété, par des années de publicité répétée pour fabriquer la marque "Beyoncé". Combien de GRP avant de réussir un lancement sans publicité ? Combien de présence accumulée, calculée et continue sur les réseaux sociaux, de Facebook à Tumblr, d'Instagram à Twitter ? Tout un travail professionnel d'exhibition de la vie privée, (artiste total people) de popularité spontanément calculée ("Beyhive") ? Les contenus eux-mêmes semblent répondre à un calcul d'optimisation mêlant des moments tendres, des moments dénudés (explicit !) et un manifeste féministe avec la romancière nigériane Chimamanda Ngozi Adichie ("Flawless"). C'est cela le talent : un calcul tellement réussi qu'il est invisible.


jeudi 19 décembre 2013

Economie de l'information, économie du divertissement : dépense des consommateurs

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L'INSEE publie, dans Insee Première, N°1479, de décembre 2013, une étude sur "La dépense des ménages en produits de l’économie de l’information depuis 50 ans", étude réalisée par Danielle Besson et Nathalie Morer (division Synthèses des biens et services).
La période couverte va des années 1960, de la fin des "trente glorieuses" à 2012. Ceci est une note de lecture.

Rappelons ce que comprend "l'économie de l'information", catégorie dont le nom peut prêter à confusion : au titre des services, elle inclut la consommation de programmes cinématographiques et télévisuels (dont cassettes, DVD, etc.), les jeux vidéo, les programmes musicaux (disques, CD, fichiers) ; au titre des biens, elle inclut les équipements nécessaires pour consommer ces services (terminaux divers : téléviseur, console, tablette, smartphone, etc.).
En fait, il s'agit surtout de l'économie du divertissement. Pour 72,2%, la dépense des ménages est consacrée aux services : divertissement (cinéma, séries, spectacle sportif, variétés, jeu vidéo), communication et la bureautique (téléphonie, Internet).
Les équipements nécessaires à la consommation de ces services (biens) représentent 28,8% de la dépense des ménages, la baisse des prix occultant une importante hausse des volumes achetés. 90% de ces biens (équipement) sont importés.

Dépenses pré-engagées
"La moitié des dépenses liées à l’économie de l’information en 2012 sont pré-engagées, prélevées sur le budget des ménages sous forme par exemple d’abonnements ou de redevances". Câble et satellite, télécoms et Internet fonctionnent à l'abonnement : ces dépenses sont, par construction, relativement rigides ; elles sont moins vulnérables aux aléas de l'économie domestique que l'achat à l'unité (chaque occasion risque de le remettre en cause). Mais rien n'indique pourtant que ce mode de consommation pré-engagée soit pérenne ; la consommation à la demande (VOD) prend de l'ampleur et l'on observe aux Etats-Unis des phénomènes de désabonnement ou de non abonnement, notamment dans le domaine de la télévision (cord-cutting, cord nevers), phénomènes qui pourraient se développer en France. Beaucoup de consommateurs pourraient vouloir s'engager moins longtemps, se dégager plus facilement (résiliation)...

Comment sont payés les services ? La gratuité apparente par la publicité
Hors télécommunications, beaucoup de services sont financés par la publicité ; c'est le cas des médias (télévision, radio, presse) et de nombreux outils du Web (réseaux sociaux, exploration, recherche). Le consommateur ne paie pas ou presque rien, il paie indirectement en se constituant cible publicitaire ou fournisseur de données. Ce troc, paiement indolore, n'est pas pris en compte dans cette étude. De même, ne figure pas non plus la part des services qui sont importés, et son évolution. Or la plupart des services généraux du Web sont importés (Google, Facebook, Twitter, iTunes, Yahoo!, LinkedIn, etc.) mais, étant payés par les annonceurs, ils ne figurent pas dans cette étude qui ignore le troc "service contre data". La data collectée et revendue n'est pas mesurée ici : c'est une limite de cette analyse (cf. Ni biens ni service : data) qu'il faut étudier.
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mercredi 18 décembre 2013

Factéo et l'Almanach du Facteur

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Fin décembre, fin de journée, la factrice fait sa tournée, après les sapeurs-pompiers, avant les éboueurs. Voilà plus d'un siècle que le rituel existe ; l'Almanach des Postes date de 1855 (monopole de l'imprimeur rennais, Oberthür), il deviendra almanach des postes et télégraphes en 1880, almanach des PTT (postes, télégraphe, téléphone) en 1945 et Almanach du Facteur en 1989. Toute une histoire de la communication dans son titre.
Le facteur propose le calendrier des Postes et on lui remet des étrennes (le terme est important et lui est réservé). Chez mes grands-parents, on lui payait aussi un coup, et l'on trinquait avec lui, à la cuisine : le facteur était un familier, un proche, un peu de réseau social à domicile. Un jour est venue une factrice : changement social et symbolique essentiel. Au lieu du rituel petit verre d'aligoté, on lui offrit des chocolats, ma grand mère y veilla. Au matin du premier janvier, on accrochait le nouveau calendrier, généralement au mur de la cuisine, à la place de l'ancien.
Le calendrier est un média formidable (on parle de 18 millions d'exemplaires), annuel, l'un des derniers supports sans publicité, laïque et populaire, presque obligatoire comme l'école : chaque foyer a le même, chacun le paye selon ses moyens et sa générosité. Le facteur donne le choix de l'image qui décorera la cuisine pendant une année : animaux, fleurs, paysages, scènes champêtres... Quand les enfants sont jeunes, le choix du calendrier leur revient. Beaucoup de marques, de commerçants offrent un calendrier mais l'Almanach du Facteur est le calendrier officiel, à part des autres.

Qu'y a-t-il dans l'Almanach du Facteur ? Un calendrier, les fêtes à souhaiter, les levers et couchers de la lune et du soleil, les dates des vacances scolaires, le langage des fleurs ("coquelicot : ardeur fragile"), la carte de France administrative, régions et départements avec leur code (l'almanach est départemental depuis Oberthür), les préfectures et sous-préfectures, une carte de l'Union européenne, les villes et communes importantes du département, les nomenclatures des rues, les numéros utiles : tout un condensé de service public et de géographie première. Il y a aussi des colonnes du genre loisirs créatifs : "Déco & Maison", "Bien-Etre Santé", "Secrets de Grand-mère". Comme la presse, il s'agit d'être utile et pratique.

L'histoire du calendrier est celle d'un média domestique ; il a contribué à d'inculcation de l'identité nationale, comme le Petit Larousse Illustré (1905) et le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno (1877). Le calendrier est bien entendu devenu objet de collection.
Son avenir ? Tout les informations qu'il affiche, et bien plus, tiennent maintenant dans le smartphone. Reste la relation au facteur : d'ici 2015, tout facteur sera équipé de Factéo, un terminal digital pour des services de proximité géographique et sociale. Entre Factéo et le calendrier, de nouvelles synergies sont à imaginer.
N.B. On compte 90 000 facteurs en France : la Poste, premier réseau social en France ?

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dimanche 15 décembre 2013

La télévision partout sur tout support numérique (Etats-Unis)

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NimbleTV étend l'accessibilité de la télévision à tout support numérique, ordinateur, tablette, smartphone (tout appareil avec une connexion IP), dès lors que l'utilisateur souscrit un abonnement auprès d'un opérateur local.
Cette solution exprime la volonté de concilier les intérêts des producteurs, des distributeurs et des téléspectateurs.
NimbleTV a été créée en 2010 à New York. Depuis, elle a levé 6,15 millions de $ ; elle emploie une quinzaine de personnes.

NimbleTV, comme son nom l'indique, se veut agile. Pour bénéficier de NimbleTV, une bonne connexion Internet et un navigateur suffisent. Les programmes auxquels le téléspectateur accède et qu'il peut enregistrer sont ceux auxquels il a souscrit (authentification nécessaire) via un abonnement à un service local auprès d'un opérateur câble, satellite ou télécom. Si le téléspectateur n'est abonné à aucun service, NimbleTV se charge à sa place de la démarche d'abonnement. NimbleTV facture un supplément de 4 à 7 $ couvrant ses frais de retransmission et de transaction ainsi que l'accès à un enregisteur numérique (cloud DVR), la différence tenant à la capacité d'enregistrement choisie, de 20 à 90 heures / mois.

Un tel service est-il légal ? A priori, oui. Pour l'instant, il n'y a pas de poursuites des opérateurs ou des chaînes contre NimbleTV alors que leurs poursuites contre Aereo sont virulentes - mais n'ont pas abouti. En fait, le service de NimbleTV ne se distingue pas fondamentalement du dispositif TV Everywhere mis en place depuis 4 ans par les opérateurs câble et satellite, Time Warner, Comcast, DirecTV en tête, avec l'accord des éditeurs. Ce type de service n'est différent non plus, dans son principe, de TiVo Stream ou de la Slingbox, mais il est beaucoup plus commode (N.B. une Slingbox est incorporée dans le Hopper de Dish).


Tous ces services ont en commun de répondre à un besoin croissant de mobilité et de simplicité ("painless") pour la réception de la télévision sur divers appareils. En revanche, les réponses qu'ils apportent à ce besoin varient, tant au plan de la technologie que du modèle d'affaires.
Observons, pour compléter le panorama, que, à côté de ces services, se développent, plus ou moins incubées par les networks, pour voir, des applis pour la réception de la télévision locale : Watch ABC (qui fonctionne avec TV Everywhere), Syncbak (dans laquelle a investi CBS) ou Dyle Live Mobile TV (soutenue par Fox).

Tous ces services représentent une réflexion en acte sur les évolutions possibles du modèle technique et économique de la télévision. Le modèle ancien, âgé d'une soixantaine d'années, est malmené par les innovations issues de la culture Web, plus souples (nimble), plus ergonomiques que celle des mastodontes de la distribution télévisuelle (groupe de stations, opérateurs câble, satellite, télécoms).

Remarques
  • Ces initiative récentes semblent éclipser le débat sur la télévision connectée, qui fut si animé il ya peu de temps. 
  • La question de la mesure globale des audiences, immobiles et mobiles, mesure indispensable au modèle économique publicitaire (Time Warner Cable Media propose Ads Everywhere) reste entière : certes, l'authentification permet un comptage précis des connexions mais les panels multi-plateforme actuels --OCR, vCE -- sont-ils suffisants, et crédibles ?
  • On notera encore que, en aucune manière, la production télévisuelle n'est malmenée et son modèle d'affaires contesté par ces innovations.
  • Jamais n'est évoquée lors de ces débats la ponction publicitaire effectuée par YouTube sur le marché (20% du chiffre d'affaires de la vidéo aux Etats-Unis en 2013, selon eMarketer). 

vendredi 13 décembre 2013

Le prix de la vie privée

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AT&T U-verse, opérateur numérique installe le très haut débit (fibre optique) dans la ville d'Austin au Texas. Engagement d'un an, tarifs garanti pendant 3 ans. Deux tarifs sont proposés.
Pour 99 $, le foyer abonné obtient un service complet (offre standard).
Pour 70 $, le foyer peut choisir AT&T Internet Preferences, qui offre le même service mais qui, en échange de la réduction de prix, accorde le droit à l'opérateur d'accéder à des informations de vie privée (opt-in) du foyer : ses comportements d'utilisation du Web (Web browsing activity) seront collectés et exploités à fin publicitaire, y compris lors des connections Wi-Fi avec un appareil mobile, tablette ou smartphone.
L'exploitation des données permettra la personnalisation sur mesure des offres publicitaires.
  • Combien vaut la vie privée sur le Web ? Les données personnelles du foyer abonné (adresse postale, adresse Internet, etc.) plus le droit de tracking représentent 30% du prix total de l'abonnement. AT&T estime donc les revenus potentiels d'exploitation de la vie privée sur le Web à au moins 30% du prix de l'abonnement (ici, 360 $ par an par foyer).
  • Nous assistons à l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché publicitaire du Web. Ce n'est plus seulement les sites qui commercialisent des espaces publicitaires mais aussi le distributeur, le fournisseur d'accès. L'opérateur considère donc qu'il monétisera les données privées du foyer pour 30 $ par mois, au moins. C'est une nouvelle forme de modèle économique pour les opérateurs du câble. 

mardi 10 décembre 2013

Obama Place de la République

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Midi et demi Place de la République à Paris. Grand écran, hauts parleurs et antennes satellites. Le discours d'Obama en Afrique du Sud est retransmis en direct par France 2. Fabrication d'un pseudo événement par la société mondiale du spectacle, tourisme diplomatique.
Le Président des Etats-Unis rappelle, non sans ironie, que, lorsque Mandela était emprisonné, Kennedy était au pouvoir. Si "Mandela nous a appris le pouvoir de l'action", nos si bavardes démocraties se complaisaient dans l'inaction et, de facto, collaboraient à l'apartheid. Comme d'hab : all talk and no action ! Aujourd'hui, voici le temps des commémorations, inactions ultimes des pouvoirs. Sur quels apartheids fermons nous les yeux ?

C'est l'heure du déjeuner à Paris ; sortant de leur bureaux, employés et cadres se mêlent aux touristes. Quelques centaines de badauds affluent vers l'écran qui se détache sur fond de ciel bleu, par dessus les toits, si bleu.
Nouvel usage de la télévision et des grands écrans (LED) ; les événements sportifs y recourent déjà depuis longtemps. La télévision découvre un usage politique qu'a connu autrefois la radio. DOOH. On aura de plus en plus de tels écrans dans des lieux publics.

France 2. Place de la République à Paris. 12h34. Photo FM
Bien sûr, on ne saura rien de l'audience de cette retransmission extérieure, audience non mesurée, non commercialisable : on ne sait vendre que l'audience au domicile de l'audimètre. 
Bien sûr, on pourrait regarder l'émission sur son mobile mais on n'y pense guère. Média immobile, audio et visuel, l'écran sur la place, en interceptant les passants, fait l'audience, la réunit.     
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dimanche 8 décembre 2013

Socio-démos : les CSP Moins

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Qui a déjà entendu parler des CSP Moins ?
En marketing, il n'y en a que pour les CSP+ (CSP Plus). Les agences, les médiaplaneurs, les planneurs stratégiques privilégient la cible des CSP Plus, voire des CSP++, leurs semblables, leurs frères, leurs sœurs, leur groupe de référence. En revanche, les CSP Moins intéressent moins.

Qui sont les CSP Moins ?
D'abord, on ne dit pas CSP Moins, de même que l'on ne dit pas "pauvre" ou "bas revenus" ; on euphémise plutôt : "modestes". Les CSP Moins, ce sont les ouvriers et les employés.
Ensemble, selon l'Enquête emploi de l'INSEE (2012, cf. infra), les catégories "ouvriers" et "employés" représentent presque la moitié (48,9%) de la population active en France métropolitaine ("en emploi") ; elles représentent plus de la moitié de la population active féminine (53,5%) et un peu moins de la moitié de la population active masculine (44,7%).
6,6 millions de femmes et 6 millions d'hommes : les CSP Moins sont majoritairement des employéEs et des ouvriers ; une employée a souvent un ouvrier pour conjoint. Homogamie ?


CSP Plus et CSP Moins partagent la France en deux parties égales en nombre, comme une médiane. Il semble que cette structure n'évolue guère et que la fraction inférieure des professions intermédiaires se paupérise, tandis que se développe une précarisation qui touche particulièrement les familles monoparentales, femmes seules et leurs enfants (CSP Moins Moins ?).
Société d'héritiers et d'immobilité sociale : dans 7 cas sur 10, les enfants d'ouvriers deviennent ouvriers et les enfants de cadres deviennent cadres (cf. Camille Peugny, Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Paris, Seuil, 2013). L'ascenseur scolaire ne marche guère.

La publicité ne cible guère les CSP Moins ; elle les touche au travers de ciblages démographiques, les femmes, les hommes, les ménagères, les tranches d'âge, les parents. On oublie (refoulement ?) que la moitié des effectifs de ces cibles courantes sont des CSP Moins. Ces deux catégories ne sont pas homogènes ; ainsi les employés réunissent des personnes avec des statuts différents : employés de la fonction publique (code INSEE 54) ou personnels des services directs aux particuliers (code INSEE 56). De plus, s'il existe des ouvriers non qualifiés, on oublie qu'un employé sur deux est non qualifié.
De quelles "données" (data) dispose-t-on concernant les CSP Moins, dans la mesure où les personnes appartenant à ces catégories sont sans doute moins présentes sur le Web (à vérifier) et y laissent donc moins de traces ?

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