lundi 25 mai 2015

Revoir "Mad Men"


La première diffusion de la série américaine Mad Men s'est achevée en mai 2015. C'est l'occasion de revenir en arrière, aux premières saisons et, peut-être, de revoir les épisodes du début comme autant de flash-backs du dernier épisode. La série, en effet, croise et tisse, en un subtile montage, les éléments biographiques des principaux personnages pour faire entrevoir leur destin provisoire.

Lors du premier épisode, nous étions au début des années 1960. Au dernier épisode, nous sommes en 1970 ; la série a vécu au rythme de la vie de son héros, le temps de l'action y est celui de la représentation. Classique !
Le premier épisode de la série fut diffusé en juillet 2007. Au cours de huit années et 92 épisodes, le personnage central aura passé par plusieurs vies, dont certaines évoquées en flash-backs : enfance malheureuse et gâchée, soldat en Corée, vol d'identité, déserteur, ancien combattant, vendeur de voitures, publicitaire adulé et riche. Deux mariages, deux divorces, trois enfants. De nombreuses amitiés amoureuses. Et malgré tout, la solitude silencieuse d'un homme qui n'a plus guère d'importance pour les siens, hors l'agence de publicité où on l'attend au retour de ses errances (J. Walter Thompson, la première agence de publicité à cette époque). Dès le premier épisode de la première saison, Don Draper n'avait-il pas annoncé la couleur : "You're born alone, and you die alone, and this world just drops a bunch of rules on you to make you forget those facts, but I never forget".

Durant l'épisode final, Dick Whitman alias Don Draper repasse par les divers personnages qu'il a endossés sa vie durant, effeuillant les couches successives de sa vie, comme on enlève les pelures d'un oignon (*). Les derniers contacts, avec sa femme, sa fille, une collaboratrice ne se feront plus que par téléphone.
D'abord, il doit entendre que, à force d'avoir été absent, sa femme, ses enfants ne comptent plus sur lui. Puis, dans des scènes à la Kerouac, on le verra, tel un "fugitif" On the road (**), jouer les anciens combattants puis donner sa voiture à un jeune homme qui lui semble ressembler à ce qu'il fut jeune homme. Toute sa vie jetée en vrac dans un sac de papier, il arrive en Californie et pour échouer dans une communauté où l'on prétend aider les âmes égarées à se retrouver grâce à la méditation et l'écoute. Finalement seul, prostré, en proie à la dépression, il semble vouloir "disparaître de soi". Au cours d'une thérapie de groupe organisée par la communauté, il se jette au cou d'un homme comme lui perdu, vidé qui confesse son désarroi d'être sans importance pour les autres. Communion, empathie, révélation ?
Au bout de son odyssée, dernier plan de la série, Don Draper, assis en tailleur, regarde le Pacifique, et il a, comme en rêve, l'intuition mystique d'un message publicitaire TV, irénique et œcuménique, pour Coca Cola, le premier des annonceurs, le budget sur lequel il est censé travailler.
La série diffuse le message et plante là ses téléspectateurs. C'est fini.

Depuis, les commentaires vont bon train. Fin ou relancement de carrière ? La création comme re-création ? "Dépouiller le vieil homme" ?
Don Draper a vendu son appartement, donné sa voiture. Etre plutôt qu'avoir pour mieux voir. Changer de peau, de vie ? "You live only twice // Or so it seems // One life for yourself // And one for your dreams" (***), prévenait une chanson de la bande son de la saison 5.
Dernière phase d'une phénoménologie de l'esprit publicitaire : le "savoir absolu" publicitaire, la création comme vision mystique, délestée des outils du marketing qu'elle transcende (enquêtes, sondages, focus groupes, études de marché ...) ? Dans le premier épisode, Don Draper jette à la corbeille l'étude réalisée par la psychologue plus ou moins freudienne du service études pour le budget Lucky Strike (N.B. Freud n'a, sa vie durant, cessé de fumer !).
Mad Men n'en a pas fini de faire penser la publicité, sa place dans la culture, mieux que bien des travaux hérissés de statistiques et de concepts. Beau sujet de réflexion épistémologique.


* Pour reprendre l'expression qui a donné son titre à l'autobiographie du romancier allemand Günther Grass, publiée en 2006, Bei Häuten der Zwiebel ("par les peaux de l'oignon"). L'une des pelures révèle qu'il fut incorporé dans la Waffen SS... ce qui avait été tu, omis jusque là !

** L'empreinte culturelle de ce roman se perçoit tout au long de la série et de ses choix musicaux. Pour Bob Dylan, The Doors, David Bowie On the Road est une référence majeure...

*** "You only live twice", interprétée par Nancy Sinatra dans le 13ème épisode. A l'origine, chanson d'un James Bond (1967). Les chansons de la série sont partie intégrante de la narration.

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