mardi 30 juin 2015

Posters et magazines : suppléments d'images


Juin 2015 : 8 posters "avec des chevaux de
rêves photopgraphiés par Christiane Slawiik,
une des meilleures photographes
équestres du monde".
 Les magazines proposent aux lecteurs toutes sortes de suppléments : cartes postales, fiches, livres, patrons, plans, partitions, auto-collants, gadgets, maquettes... S'il en est presque fini des CD (musique, logiciels, jeux) et bientôt des DVD, le poster, en revanche, se porte bien et ne semble pas s'essouffler. On le dirait anachronique, mais non !

Quels magazines proposent des posters ?

Une analyse portant sur 1 400 magazines proposant des posters (base : MM, 33 400 titres et hors-séries des dix dernières années), indique que les titres publiant le plus souvent des posters s'avèrent d'abord des titres people, ainsi que des titres visant les adolescent-e-s et les enfants.
Ensuite vient le sport, dont deux tiers des titres avec posters relèvent du football. Puis viennent les titres traitant des animaux (chevaux, chiens et chats surtout), les titres couvrant l'autobile, la moto et sports mécaniques ; enfin le cinéma, la musique, les séries TV ("Glee") sont friands de posters. Signalons aussi la forte présence de posters dans les magazines de catch, surtout à la fin des années 2000.

Le people domine
Ce qui domine l'univers des posters, dans l'ensemble, c'est le people car même dans le sport, la musique, les séries TV, le cinéma ou la moto, les posters présentent souvent une tonalité people ; ils sont consacrés à des célébrités du domaine, à la célébrité desquelles ils contribuent. Exemples : Foot Play, "les 40 meilleurs jeunes joueurs" (juin 2015, 6 posters, 3,95 €). Il y a les célébrités pour certains adolescent-e-s, "les méga posters de ton groupe préféré", "Star inside", toujours ! Justin Bieber, Selena Gomez, Tokio Hotel, Martina Stoessel (Violetta, Disney Channel), One Direction (boy band), Miley Cyrus (Hannah Montana, Disney Channel), etc. Il y a même des posters dédicacés par Pedrosa (GP+, octobre 2013, sports mécaniques) ou par One Direction (dans Closer pour ses huit ans), par Stan Wawrinka (Tennis Magazine, juin 2015)...

Il y a des posters pour tous les genres de magazines : commémoration politique ("Les 70 ans de l'affiche rouge", L'Humanité, février 2014), sur les motos ("Motos mythiques", 6 posters offerts par Moto Revue), il y a des posters didactiques ("2 posters explicatifs", par Jardins à vivre, avril 2011), "Jardiner avec la lune" (Rustica), des posters pour les enfants dans Super Dino : (+ 14 posters XXL (septembre 2013), ou dans Youpi le petit curieux  ("+ Ton poster des bébés chiens", février 2013).

Notons encore qu'il existe quelques numéros "spécial posters", exclusivement composés de posters (exemples : Stars Posters : + 8 posters + 2 XXL !, Toupie Posters. The Game (magazine de jeux vidéo) a publié un numéro de posters géants (5 €), MX magazine publie également un hors série de posters géants, de même que Wakou (enfants de 4 à 7 ans, "curieux de nature", Bayard Presse, 5 €). Depuis 1998, il existe aussi un magazine spécialisé : Posters Géants (4,9 €).
Les posters peuvent être de toutes tailles (Cheval Magazine publie un numéro spécial poster en juin 2015 avec un Giga Poster à composer de 1,2 m de haut et un cahier supplémentaire de 8 autres posters (6,3 €, cf. supra).

Les posters peuvent être un produit d'appel : Chats d'amour ("12 super posters géants de chatons mignons"), en 2010, Studio magazine publia 10 affiches des films de la rentrée, dont la première affiche de Harry Potter. En 2010, S.F.X Cinéma et effets spéciaux publie plus "de 24 méga posters" ("This is it. L'histoire du film évènement !"). Maxi Cheval Girl propose "10 maxi posters + 8 cartes postales!". Disney Girl, publie 12 posters de stars (décembre 2014).

"Affichez vos passions"
Quel rôle jouent les posters pour les lecteurs ?
Fonction d'identification, d'appartenance, de personnalisation ; on les trouve dans la décoration des chambres d'adolescent(e)s, dans diverses pièces, bureaux, vestiaires, ateliers, garages : "Affichez vos passions", suggère un titre. Un poster affiché, c'est une déclaration, privée ou publique comme un "like", pour un animal, un joueur de basket ou une idée.
La fonction esthétique n'est pas absente non plus (cf. supra, Cheval Magazine). La fonction de souvenir est importante aussi, rappelant un événement : Le Pèlerin / La Croix ont offert, aux lecteurs de l'album souvenir, "le double poster souvenir du film" ("Les moines de Tibhirine.  Des hommes et des dieux", septembre 2010, 6,5 €) Cf. supra.
Quel serait aujourd'hui l'équivalent numérique du poster ? Pinterest ? Tumblr ? Ou simplement le fond d'écran...

lundi 22 juin 2015

A vendre : publicité invisible !


Le débat sur la visibilité des messages publicitaires est crucial. Unviewable ads, publicité invisible* : l'oxymore ne peut qu'étonner. Être c'est être perçu, disait le philosophe (Esse est percipi) !
Qu'il faille définir la visibilité est l'indice-même d'un problème publicitaire. Illustration :
  • Télévision : l'annonceur achète la diffusion d'un message. Le message est diffusé et visible pour les téléspectateurs au domicile.
  • Web : l'annonceur achète la diffusion d'un message sur Internet. Le message est diffusé. Trois cas peuvent se présenter, entre autres :
    1. le message est placé en haut de la page (above the fold) et se télécharge immédiatement ; le message diffusé est visible.
    2. le message est placé loin dans la page, et l'internaute ne descend pas assez loin pour le voir ; le message est diffusé mais il n'est pas visible.
    3. le message est lourd (rich media) et se télécharge lentement, l'internaute n'attend pas et poursuit plus bas sa lecture : le message est diffusé mais n'a pas été visible.
Le Media Rating Council (MRC) énonce deux conditions pour qu'un message soit déclaré visible : il faut que 50% des pixels du message soient visibles sur l'écran d'un ordinateur (desktop), et ce, pendant au moins une seconde en continu (2 secondes consécutives pour les messages vidéo).
Pris au pied de la lettre, cela peut faire sourire : 1 seconde, 50% des pixels, c'est si peu. Beaucoup de professionnels réclament 75 voire 100% des pixels visibles, 50% d'entre eux réclament une durée supérieure ou égale à 5 secondes. Twitter garantit 100% de visibilité et 3 secondes. En cas de déficit de visibilité, l'IAB (Interactive Advertising Bureau) demande des compensations (makegoods, l'équivalent de repasses gracieuses)**.
Comment prendre en compte la partie audio des vidéos (autoplay pour Facebook, Twitter) ?  Si une impression non vue recueille malgré tout des données, sa valeur n'est pas nulle. Quel est son prix ?

Qui vérifie ? Comment ? Coûts de transaction ?
Le débat rend indispensable un nouveau métier, la mesure de la visibilité. Ce travail, et les technologies qu'il mobilise, complexifient et enchérissent la transaction publicitaire.
A ce jour, le MRC a accrédité 19 vendeurs de technologies, par ordre chronologique (19 juillet 2015) : RealVu, comScore vCE-Validation, DoubleVerify, Google Active View, spider.io, Integral Ad Science, Alenty, Sizmek, Moat, WebSpectator, Glam Media, AdYapper, Yahoo! APT, Chartbeat, Adloox, Pixalate, Meetrix, Microsoft Ad Expert, Vindico.
Cette multiplicité disparate de mesureurs et de technologies de mesure nuit à la transparence du marché qui ne s'y retrouve guère, surtout les éditeurs.

Agences et annonceurs d'un côté, éditeurs de l'autre
La moyenne actuelle de la visibilité aux Etats-Unis conforme au standard MRC de la visibilité est de 47% des messages ; l'IAB recommande aux vendeurs de viser un seuil de 70% des messages d'une campagne déclarés visibles (en attendant 100%). Les agences de publicité  (4A's) et les annonceurs exigent 100% de visibilité et une définition plus exigeante de la visibilité. Ils veulent que la visibilité soit évaluée par des tiers (third-party verification), menaçant de refuser d'acheter en cas contraire. Cf. Kellog ou Kraft Foods Group, Advertising Age).
Pour la vidéo, Google évalue le taux de visibilité, hors applis, à 54% des messages en général (hors YouTube) et à  91% pour YouTube. La visibilité est meilleure sur les supports mobiles***. Pour les ordinateurs, elle croît avec la taille du player (89% pour le 848x477 ; 19,8% pour le 300x250).

Tout cela s'avère techniquement complexe et peu lisible
Le besoin de standards et de vérification indépendante est crucial pour la maturité du marché publicitaire. On perçoit à cette occasion le travail effectué par les médias anciens, presse ou télévision, pour simplifier les transactions publicitaires. En télévision, en presse, il ne reste qu'un mesureur par média, par marché.
Si l'on extrapole les débats actuels, que peut-on envisager, craindre ou espérer ? Une augmentation des prix de l'espace publicitaire et une diminution du nombre des espaces invisibles, devenus non vendables. On assisterait donc à une réduction de l'encombrement publicitaire (clutter), à une dédensification, comme disent les afficheurs.
Avec la diffusion en streaming (OTT), la télévision ainsi que les écrans DOOH se trouvent dans une situation proche de celle de la publicité sur le Web : diffusion n'équivaut plus à visibilité. Le débat sur la visibilité doit être élargi : il concernera bientôt tous les écrans.
L'importance des durées de téléchargement pour les éditeurs (cf. l'argumentation de  Facebook et Instant Articles pour la presse) renvoie nécessairement au débat sur la neutralité du net.
Notons enfin que le débat sur la visibilité propulse et légitime de facto le MRC, instance américaine, comme arbitre international du marché publicitaire, au détriment d'instances nationales. Est-ce souhaitable pour les Européens ?


* Deux cadres de DigitasLBi qui gèrent la publicité mondiale d'American Express déclarent refuser de payer toute publicité invisible. La publicité invisible ne vaut pas moins cher, elle ne vaut rien du tout, insiste-t-on à GroupeM. “An ad that’s not seen is not worth less, it’s worth zero. Zero” (cf. J. McDermott, "Viewability's elephant in the room", Feb. 2015).
** Sur ces débats concernant les critères de visibilité : eMarketer.
*** L'élaboration des critères de visibilité par le MRC pour le mobile est en cours.

mercredi 17 juin 2015

Numérique et destruction créatrice de médias


Depuis 20 ans, les médias traditionnels d'information sont assaillis par de grands services numériques sans contenu propre, sauf fourni par les utilisateurs eux-mêmes (User-Generated Content).

Tout support numérique sans contenu se fonde sur un service aux consommateurs (réseau social, moteur de recherche) pour accumuler et vendre des contacts publicitaires. Chaque service y va de son appli mobile, qui recherche et puise des contenus dans les productions des médias traditionnels et les agrège à son bénéfice. Les médias traditionnels, "legacy media", médias de contenus, sur le fond, n'ont pas changé : la presse comme la télévision ou la radio restent d'abord des créateurs organisateurs de contenus, d'information entre autres, et, notamment, d'information locale.
Le numérique n'y change pas grand chose : la collecte de cette information ("All the news that's fit to print", selon le slogan du New York Times depuis 1896), son traitement (vérification, curation, narration, illustration) coûtent cher. La monétisation semble rester en rade ; elle s'est empêtrée dans sa distribution traditionnelle.

S'agit-il de destruction créatrice ? Disruption : une concurrence terrible qui vient d'où l'on ne l'attend pas. La presse américaine n'attendait pas les moteurs de recherche, elle n'attendait pas les réseaux sociaux, elle ne se méfie pas de la géolocalisation... Les quotidiens ont craint USA Today et The  National Sports Daily comme les networks ont redouté les chaînes thématiques, CNN, ESPN... Aveuglés par ces leurres involontaires, armés d'analyses de concurrence, classiques et trompeuses, on dirait que les médias n'ont rien voulu voir venir.

Qu'est-ce qui a été détruit et recréé ? Ce sont les modes de distribution. Mais cette destruction n'a été possible que parce qu'ont subsisté, inaltérés et disponibles gratuitement, la création journalistique des médias, les contenus.
Si les plus jeunes se tournent vers le Web, mobile surtout, et abandonnent les supports traditionnels de l'information (Reuters Institute for the Study of Journalism at the University of Oxford, 2015), ils n'abandonnent toutefois pas les contenus ! L'agrégation de contenus opérée par les médias traditionnels est une commodité de distribution (packaging). La désagrégation en cours correspond à de nouvelles formes de distribution. Mais, toujours, derrière cette mutation du papier aux applis mobiles, il y a des contenus, des créations, du plaisir.
La distribution peut compter sur l'automation et l'intelligence artificielle pour optimiser son modèle économique et réduire sans cesse les coûts de transaction. En revanche, la création, qui lutte contre le chaos et l'entropie, ne peuvent guère compter que sur l'intelligence naturelle d'une main d'œuvre créatrice (journalistes, etc.).

Récemment Apple, Facebook, après d'autres (Google News, Flipboard, etc.) se sont positionnés comme distributeurs de produits élémentaires de la presse, désagrégés, l'article étant l'atome de lecture mobile.
  • Après Paper (1994), Facebook teste Instant Articles. Paper a joué un rôle de brouillon ; avec Instant Articles, Facebook se positionne comme distributeur d'articles de presse à part entière. Les articles sont publiés directement dans l'appli Facebook (iOS), bénéficiant d'une meilleure ergonomie : alors qu'actuellement, les articles de presse se téléchargent lentement, Facebook promet un téléchargement 10 fois plus rapide que le Web mobile et des modalités d'édition enrichie (zoom, plein écran, autoplay, légendage audio, etc.). L'information est-elle déjà "Facebookified" ? Quelle part du trafic des médias vient de Facebook ?
    • La publicité sera gérée directement par le titre qui alors gardera 100% des revenus ou bien elle sera confiée à Facebook Audience Network qui prendra 30% des revenus. Par ailleurs, Facebook propose aux éditeurs les fonctionnalités de LiveRail (people-based targeting pour mobile.
    • Les éditeurs pourront aussi utiliser leurs propres analytiques, dont Google Analytics ou comScore, s'ajoutant aux outils mis à disposition par Facebook (Tools and Insights for Publishers).
Les titres engagés avec Instant Articles (source Facebook, May 2015)

  • Apple annonce News pour l'automne 2015 (Etats-Unis, Australie et Grande-Bretagne d'abord). News sera une appli iOS 9, personnalisable, qui devrait remplacer Newsstand et agrégera des articles de presse. Le partenariat de lancement mobilisera The New York Times, ESPN et des titres du groupe Condé Nast (bon appétit, etc.). 
    • Les titres commercialisent leur espace publicitaire, mais à la différence de Facebook, les données de consommation de la presse ne seront pas transmises aux titres afin de garantir la vie privée des lecteurs ("Apple doesn't share your personal data"). Apple commercialisera les espaces publicitaires invendus.
    • Branding : avec Apple News Format for Publishers, Apple laisse la possibilité aux éditeurs d'effectuer la promotion de leurs titres (abonnements).
    • Le contenu proposé par News tiendra compte de ce que le lecteur lit habituellement en vue d'atteindre un niveau d'intérêt et d'engagement croissant. 
    • Au travail de gestion suivant un algorithme, pourrait s'ajouter un travail de curation humaine.
  • Twitter travaillerait à Project Lightning, une fonctionalité permettant de suivre un sujet ou un événement ; des curateurs incorporeraient des tweets sélectionnés en une narration (story) accessible et mise à jour sur l'appli Twitter pour iOS.
Parmi les questions que suscitent ces développements :
  • La mesure totale du lectorat total n'en finit pas de se complexifier ? Comment intégrer ces audiences nouvelles avec les analytiques actuels de la presse ? 
  • Qui détient les données de lecture ? Le titre pourra-t-il y accéder pour construire sa stratégie éditoriale, promotionnelle, publicitaire ?
  • S'il se crée des carrefours (hubs) où les lecteurs peuvent se rendre pour découvrir des articles, des revues, si l'on peut y passer sans effort d'une publication à une autre, quelle marque en bénéficie ? Apple ou Conde Nast ou Bon Appetit ? Qui profite de la notorité (branding) ? A qui les lecteurs seront-ils fidèles ? A Facebook, Apple, ou à l'éditeur ? La marque éditeur ne risque-t-elle pas d'être diluée ?
  • Avec des opérations comme News ou Instant Article, les médias de contenus accroissent leur dépendance vis à vis de leurs puissants distributeurs (addiction). On dirait parfois qu'ils se livrent en aveugles au destin numérique qui les entraîne...
De plus, la mainmise progressive d'agrégateurs ("massive social media aggregators") comme Google, Apple ou Facebook sur les contenus des médias américains semble se doubler de la concurrence que ces entreprises font aux médias traditionnels en matière d'information, notamment en période électorale. Ainsi, Facebook semble la source de plus en plus fréquente des informations politiques, pour les moins de trente ans (cfPew Research Center, 2014). Voir aussi le rôle de Facebook (Obama et les networks) et de YouTube (Google) dans la communication gouvernementale (cf. Un président sur YouTube).
Facebook guigne les dépenses publicitaires des partis politiques et des candidats, réduisant d'autant la part de marché des médias locaux, notamment celle de la télévision. Mais ce n'est pas la seule avancée de Facebook dans l'information : le réseau s'attaque indirectement aux médias traditionnels en facilitant la tâche des relations publiques (PR). Ainsi, alors que le nombre de journalistes décroît, celui des PR augmente : les journalistes font carrière dans les RP (y compris des jouralistes ayant obtenu des prix Pulitzer). La communication l'emporte sur l'information.
Twitter de son côté concurrence aussi 
les médias traditionnels pour la couverture des campagnes électorales (cf. le travail de Peter Hamby, journaliste de CNN, "Did Twitter Kill the Boys on the Bus? Searching for a better way to cover a campaign", Shorenstein Center Fellow, Harvard University, Spring 2013, 95 p.) : la conclusion de l'auteur sonne comme une menace de plus : "More and more, the mainstream political press is being cut out of the election process".

Les applis sur mobiles deviennent le mode le plus courant de la consommation d'information (newsreading apps). La majorité des visiteurs de la plupart des sites d'information viennent du mobile (selon Pew Research Center). Face à des entreprises gigantesques, attrape-tout, comme Facebook, Google ou Apple, les médias d'information et de divertissement semblent coincés, hypnotisés : ne pouvant les battre, ne leur reste-t-il à qu'à s'y rallier ? Facebookisation de l'information, Facebook assurant la police de l'information (content cop) ?

N.B. Pour d'autres formes d'intervention des réseaux sociaux dans l'information, voir, par exemple, les collaborations successives de Storyful (News Corp.) avec Facebook (2014) puis YouTube (2015).

mardi 9 juin 2015

Média public, média privé ? La presse invisible

Vending machineAP File photo

La presse perd du terrain dans la ville ? Dans les rues, sa part de voie s'étiole. Sa présence publique s'effiloche...

Dans les rues américaines, les distributeurs (vending machines) disparaissent ; avec leur Une "above the fold" comme un écran de prime time, ils furent, il y a trente ans, le symbole du défi que USA Today (Gannett), le nouveau quotidien national, jetait aux grands networks.

En France, le nombre de points de vente presse diminue ; en même temps diminuent la longueur totale des linéaires, et donc l'exposition aux passants. Concurremment, les ventes au numéro chutent (sources : MLP, Turnover Points de vente ; presstalis). La notoriété globale de la presse, son image en pâtissent.

Dans certains quartiers, les kiosques à journaux, plutôt que la presse, mettent en avant des colifichets pour touristes, des friandises et des boissons ; leur affichage semble moins consacré aux couvertures de magazines et davantage à des produits de mode ou de "luxe".
Même la réduction des formats (passage au format tabloïd, format poche dans la presse magazine) qui accroit la commodité de lecture affecte la visibilité de la presse.

La papier recule partout tandis que la presse investit le territoire numérique, réduisant sa visibilité : sa présence en ligne ne compense pas son absence publique. La presse a été un média de l'espace public,(cf. Jürgen Habermas, "Öffentlichkeit") lu dans les cafés et les cabinets de lecture ; les lecteurs s'affichaient avec leur titre, l'arboraient comme un drapeau (cf.  L'Huma avec ses CDH, la vente militante, la fête annuelle). Sur tablette ou smartphone, certes plus commodes, la presse devient un média de la sphère privée, discret, caché. Ainsi, quand Metronews (TF1), gratuit du métro parisien, cesse de publier sa version papier pour n'être plus présent qu'en ligne, le titre s'évanouit quelque peu...

Le modèle économique mixte, papier + numérique, peut assurer à la presse à la fois sa visibilité et sa puissance. Même une fois diffusé, un titre papier reste visible, dans les foyers, les bureaux... Facteur de circulation, de reprises en main, de durée de lecture, audience secondaire !
Comment stopper cet évanouissement de la presse, maintenir sa visibilité et sa notoriété tout en gagnant en puissance (data) ? La presse pourrait peut-être, par exemple, efficacement compter sur les écrans de l'espace public (DOOH) pour recouvrer sa place de média public.

mercredi 3 juin 2015

Télé locale en France : quelle malédiction ?


En France, la télévision commerciale locale semble ne pas se porter très bien.
Ainsi, la TLT, station de Toulouse, pourtant l'une des plus anciennes (1988), même si elle a obtenu un sursis du Tribunal de Commerce et une prolongation pour 5 ans de son autorisation d'émettre par le CSA, reste menacée de liquidation. Son endettement atteindrait 2 millions €. Et les exemples ne manquent pas : Télessonnes est en situation difficile, Médias du Sud (TV Sud Camargue, TV Sud Montpellier, TV Sud Pyrénées Orientales) pourrait déposer son bilan (sources : médias régionaux), VooTV, station de Dijon mise en liquidation judiciaire (sources : presse régionale)... Fin janvier 2013, le CSA avait autorisé, en 25 ans, 48 services de télévision locale terrestre.

Source : Télévisions locales
Manifestement, le modèle économique de cette télévision n'est pas adéquat à ses ambitions. Dépendant des financements publics, la télévision locale est de santé fragile, admet le CSA. Trop peu de revenus publicitaires, des audiences dispersées, difficiles à commercialiser. Des coûts de distribution (TNT) élevés. Une trop faible notoriété parmi les professionnels du marketing et du planning stratégique.
Pourtant, selon l'enquête TV locales 2015 de Médiamétrie qui évalue l'audience locale d'une trentaine de stations locales terrestres, près de 13 millions de personnes en France regarderaient ces stations au moins un fois par semaine (audience cumulée). La durée d'écoute serait de 44 minutes pour 1,3 million de téléspectateurs.

Des solutions ? En cas de difficulté de gestion, les stations de télévision comptent essentiellement sur les diverses collectivités locales (Conseil régional, commune, agglomération, département), sur les subventions, sur l'impôt local donc plutôt que sur des solutions commerciales (publicité, abonnement).
Le streaming (OTT) n'est-il pas une solution plus raisonnable favorisant une diffusion des programmes sur tous les supports, notamment mobiles (tablettes, smartphones) ? La mesure de l'audience en serait facilitée, plus opérationnelle, de même que la collecte de données. Des stations ont ouvert une chaîne sur YouTube comme, par exemple, TVFIL78, "la télélocale de Saint-Quentin-en-Yvlines" (ici), ou 8 Mont-Blanc. Pourquoi pas un multi-channel network (mcn) dédié à la télévision locale française ?

Aux Etats-Unis, les stations locales constituent l'armature de la télévision nationale ; elles peuvent constituer des réseaux de distribution nationale (networks). Ces stations sont titulaires d'une autorisation de diffusion locale terrrestre. La syndication de telles stations donne naissance à une huitaine de chaînes nationales terrestres grand public, commerciales ou éducatives. Toute station affiliée à un network obtient en échange la diffusion d'une grille de programmes gratuits et les revenus publicitaires dans laquelle elle peut insérer des écrans locaux (local time), placés entre deux émissions du network diffusées nationalement (adjacencies) ; cet espace publicitaire est vendu à des annonceurs locaux.

Une station affiliée ou O & O (filiale, Owned and Operated) bénéficie par conséquent de programmes de qualité nationale ; elle y ajoute l'actualité locale (news), sans dépenses exorbitantes de production ou d'achat de fiction, de sport. Elle gère une régie publicitaire locale, la publicité nationale ne la concerne pas, qui relève du network uniquement.
L'activité Internet, en synergie, épouse cette structure de marché, local et national tant pour les contenus que pour la régie. Ce montage donne à la télévision locale sa viabilité, sa visibilité et son dynamisme d'entreprise. De plus, 5 groupes de stations locales (ABC, Cox, Hearst, Media General Raycom) s'associent pour lancer NewsON en automne 2015. NewsON (112 stations, 84 DMA) est un programme d'information gratuit qui sera diffusé sur la télévision connectée (mobiles, etc.).

En fait, un tel modèle d'affaires n'est pas si étranger au marché français des médias qu'il peut paraître ; il évoque, par exemple, le réseau des Indés Radios qui représente un network de plus de 120 stations locales (régie nationale assurée par TF1) réunissant une audience cumulée de plus de 8 millions d'auditeurs (Lundi-Vendredi, 13 ans et +) ; il évoque encore le PQR66 constitué  par la presse régionale avec plus de 60 titres qui, assemblés, apportent une couverture à la fois locale et nationale aux annonceurs, conjuguant l'affinité locale, la proximité avec la qualité nationale. Tout ceci bien sûr est présent sur le Web, les stations comme le réseau, avec ce que cela apporte de données pour alimenter une DMP (Digital Media Platform). C'est un filon que convoitent Google et Facebook, notamment pour le local.

Le législateur a choisi pour la France une politique de télévision jacobine à base nationale, centralisée plutôt que locale. La télévision est conçue comme un ferment de culture républicaine capable de contribuer à l'homogénéisation d'une culture nationale ("La Voix de la France"), de réduire les différences (culturelles, langagières notamment), de promouvoir l'intégration. Comment concilier cet objectif politique, social et culturel de cohésion sociale et d'égalité avec une ambition locale ? Une "monarchie républicaine" avec la citoyenneté médiatique locale ?

Quelques références

CSA, Étude sur les conditions de réussite de la télévision locale en France sur la base d'une comparaison internationale, 2010. N.B. Hélas, si la comparaison prend en compte le Canada elle omet les Etats-Unis.
Rapport annuel 2014, ici.
Télévisions locales nationales et thématiques, le journal professionnel, ici.
Télévisions locales (actualité des), ici.

Stations prises en compte par l'étude TV Locales de Médiamétrie (septembre 2014 - juin 2015) :

  • 26 stations en régions : Alsace20, Canal 32, D!CI TV, Grand Lille TV, LCM, LCN, LMtv, Ma Télé, Mirabelle TV, Normandie TV, Tébéo, TébéSud, Télénantes, Télim TV, TLT, TL7, TLM, TV7, TV Fil78, TV Sud Camargue-Cévennes, TV Sud Montpellier, TV Tours, TV Vendée, TV Rennes 35 Bretagne, Vosges Télévisions, Wéo 
  • Pour l'Île-de-France : 4 chaînes de Canal 31 (BDM TV, Cinaps, Demain!, Télé Bocal), IDF1 auxquelles s'ajoutent, curieusement, BFM Business et France 24 (chaînes nationales, voire internationales).