samedi 28 novembre 2015

Les femmes à la moto



Femme et motarde. Le premier magazine féminin dédié à la pratique de la moto et du scooter, trimestriel, novembre 2015, éditions de la FFMC, 100p. 4,90 €

En s'appropriant une pratique réputée masculine, les femmes la transforment-elles ? Le souci d'élégance et de confort à moto ne concerne-il pas tout autant les hommes ?
Motarde : le mot n'est pas élégant, assurément. 2RM pour "deux roues à moteur" est en revanche un terme commode pour désigner à la fois les motos et les scooters, même si ces derniers ont parfois 3 roues.
Que disent les statistiques ? En 2013, on comptait en France 3,6 millions de 2RM dont un tiers de scooters. 2% des utilisateurs étaient des femmes. Cette statistique, vieille de 23 ans, a besoin d'une sérieuse mise à jour (voir aussi:  "Les deux-roues motorisés au 1er janvier 2012", Commissariat général au développement durable, n° 400, Mars 2013).
Globalement, retenons que l'on compte environ dix fois plus d'automobiles que de 2RM (dont 32 millions d'automobiles particulières).

Faut-il voir dans l'extension du parc motomobile français l'un des symptômes des problèmes lancinants de circulation dans les agglomérations : manque de transports en commun adaptés à l'urbanisme, privilège politique accordé à l'automobile ?  Quoi qu'il en soit, ce que traduit le lancement de ce nouveau titre, c'est l'avènement d'une culture mixte et urbaine dans un secteur qui a longtemps revendiqué une image macho ("L'homme à la moto", par Edith Piaf, 1956, chanson légendaire adaptée d'un titre de rock'n'roll américain).

Pour l'utilisateur ou le passager d'un 2RM, l'équipement de sécurité est primordial (casque, blouson, chaussures, gants), que cet utilisateur soit un homme ou une femme. Concilier la mode à la sécurité à moto n'est pas un pari gagné d'avance. C'est pourtant l'ambition de Femme & motarde. Articles et présentations de vêtements (tenues) et d'accessoires s'y emploient à côté d'omniprésentes références mécaniques : donner à voir la moto dans les moments de la vie d'une femme, tel est le positionnement du magazine.
Le magazine a été lancé à 70 000 exemplaires par la FFMC qui publie Moto Magazine, Moto Crampons et Maxi Moto. Le magazine le revendique à la une : c'est un féminin et il s'agit de mode, de look et de guide d'achat. Les femmes ajoutent à la moto une exigence d'élégance et de vêtements adaptés à leur morphologie, comme elles le font dans le sport.

Combien de magazines nouveaux consacrés à la moto et au scooter depuis 25 ans ? 792 soit plus que l'automobile (670). Entre 2003 et novembre 2015 (inclus), on compte 538 titres hors séries pour 139 nouveaux titres consacrés aux deux roues (2RM). Le dynamisme de la presse moto est à l'évidence le fait des hors séries : plus d'une cinquantaine de hors séries et cinq nouveaux titres en 2015, les 2RM sont sur-représentés dans la presse. Tendance ?

Femme & motarde, N°1, novembre 2015

jeudi 19 novembre 2015

Effet Netflix : le dilemme des chaînes américaines


Avec 69 millions d'abonnés dans le monde dont 43 aux États-Unis, le spectre de Netflix hante désormais le monde de la télévision. Netflix mord sur l'audience des networks, dilue leur public et leur notoriété (on dit que les chaînes voudraient que soient incrustés leur logo au début de leurs séries lorsqu'elles sont reprises par Netflix). Surtout, Netflix compromet l'économie de la télévision payante, MVPD, chaînes premium (HBO, Showtime, Starz, etc.) qui réagissent en lançant à leur tour des versions OTT et en s'appuyant davantage sur TV Everywhere ? De plus, les changements d'attitudes et d'attentes des consommateurs / téléspectateurs - binge viewing, consommation sur mobiles - vont dans le sens de Netflix : en matière de télévision, les nouvelles générations sont streaming et mobile par défaut, donc Netflix d'abord.

Les réactions à l'hégémonie de Netflix furent lentes à venir. On oublie que Netflix aura bientôt 20 ans : c'est dire si l'on a eu le temps de voir venir le danger (sur la genèse de Netflix : "Du DVD au streaming"). Cette disruption, si disruption il y a, n'est pas un phénomène soudain : il n'y a disruption que parce qu'il y a inattention, négligence, condescendance...
Time Warner, les grands networks américains et les studios s'interrogent maintenant sur l'opportunité de continuer à mettre leur catalogue à la disposition de Netflix et ainsi de renforcer leur concurrent. Une telle stratégie pourrait s'avérer dangereuse : à Comcast, on parle de "self-inflicted wound" ? Mais les chaînes peuvent-elles renoncer à une source de revenus significative et commode ? Dilemme !

Ce n'est pas encore la guerre mais on observe quelques escarmouches : Netflix a perdu - ou abandonné ? - les programmes de la chaîne de cinéma Epix (Lionsgate Entertainment, MGM, Viacom) à Hulu et Amazon Instant Video. De son côté, Time Warner aurait envisagé de prendre une participation dans Hulu dont trois networks sont actionnaires (ABC / Disney, Fox, Comcast / NBCU). Mais Netflix a acquis auprès de ABC les droits de la première saison de "How to Get away with Murder" (en France, M6) ... Netflix Frenemy ?

Une contre-attaque, un embargo sont-ils réalistes alors que Netflix, au cours des trois dernières années, s'est doté de nombreux programmes propres, réduisant d'autant sa dépendance. Anticipant son besoin de programmes neufs, Netflix envisagerait de produire aussi des programmes bollywoodiens et des animes. Surtout, Netflix accroît fortement son investissement dans les programmes originaux (émissions et films), investissement qui dépassera 5 milliards de dollars en 2016.

mardi 10 novembre 2015

Saveurs des blogs culinaires


Spécial blogs culinaires. Hors série de SAVEURS, 5,9 €, octobre 2015, 140 p. Index alphabétique des blogs et des recettes, des comptes Instagram. Carnet d'adresses.

Les blogs intègrent et alimentent la presse papier. 50 blogueuses et blogueurs prennent le pouvoir dans ce hors-série consacré à la cuisine.
Il s'agit de contributions délimitées, atomisées, élémentaires que le magazine agrège : les recettes, trucs, astuces, tours de main, conseils (how-to dans les blogs américains) conviennent bien à ce type d'exposition et d'organisation. S'adapte à tout ce qui relève des loisirs créatifs, du bricolage maison. Les loisirs créatifs, c'est le sens pratique, des habitus partagés, loin des légitimités établies. Des énoncés simples aussi, listes d'ingrédients, phrases brèves à l'impératif cordial...

Le hors série sélectionne et publie 127 blogs et 91 recettes.
Scandant le magazine, quatre double pages thématiques liées à la cuisine : pour les outils "du plan de travail", les livres, les ingrédients ("le placard idéal des blogueuses"), deux pages pour les astuces.
Le format est simple et clair, facilitant le feuilletage, la lecture et l'utilisation : deux pages par blogueuse, la page de gauche réservée à une "bio" avec anecdotes et photo d'identité, la page de droite pour deux recettes avec photos. Belles photos, d'ailleurs.
De tout cela se dégage une atmosphère de cordialité et complicité qui sied à la cuisine et aux échanges. Manifestement, quelque chose est en train de s'inventer.

Assiste-t-on à une transformation du journalisme par le Web et les réseaux sociaux ? S'agit-il de dé-professionnalisation ou de professionnalisation progressive d'amateurs (Pro-Ams) ? Une extension du domaine professionnel des journalistes qui deviennent découvreurs, éditeurs ? Une évolution de l'économie et des économies domestiques (on-demand economy ?) ? A suivre...
Ce hors séries de Saveurs confirme une piste d'innovation pour la presse qui finit par s'enrichir de la culture Web et mobile sans renoncer au papier. Saveurs est également présent sur l'Appstore d'Apple. Déjà, As You Like avait donné le ton empruntant aux "blogueuses, instagrameuses et créatrices connectées" : "féminin dénicheur de talents". Depuis, il y a eu aussi, entre autres, L'Atelier scrapbook : le meilleur des scrapblogueuses, bimestriel, 6,9€, octobre 2015 pour les loisirs créatifs.

Cette collaboration de l'ancien et du moderne, de divers supports, de blogs issus du Web publiés sur papier, peut évoquer ce qui se passe en vidéo / TV avec YouTube et les mcn. Par exemple : All Things Hair, chaîne de coiffure créée par Unilever avec ses "hair care how-to videos". Ou encore le journalisme citoyen (citizen journalism) tel que le pratique CNN avec iReport (cf. "Defeated by social media, CNN overhauls iReport", par Ricardo Bilton).

vendredi 6 novembre 2015

Ciblage et mesure en TV, une question de données ?


Passons en revue quelques-uns des mouvements récents affectant le monde de la mesure des audiences aux Etats Unis. Mouvements à lire dans la perspective de mesures multi-plateformes, multi-écrans et d'un ciblage fondé sur des données plus que sur des émissions. Un nouvelle notion apparaît, celle de "targetability" (ciblabilité ?).
La question qui domine les débats : la télévision est-elle handicapée par des outils de mesure en retard sur l'équipement et les pratiques des  téléspectateurs ? Peut-on continuer de rafistoler les mesures anciennes ou faut-il tout reprendre à zéro ?

Comme toujours lorsqu'il s'agit de mesure, il faut s'attendre à des batailles pour la légitimité, pour l'autorité : Nielsen a encore tendance à se prendre pour le mètre étalon. Quel rôle jouera le MRC dans cette bataille ? Quel rôle peut-il y jouer quand on constate le déséquilibre des moyens scientifiques des très grandes entreprises concernées avec ceux dont dispose le MRC. Le coût croissant des audits, leur durée, peuvent-ils constituer une barrière à l'entrée dans le marché publicitaire ?

La télévision, toute en défense, cherche à s'armer contre Google et Facebook qui la menacent avec leurs vidéos. Dernière offensive : Facebook s'associe à Nielsen pour produire une mesure facilitant à son avantage la complémentarité publicitaire (on euphémise et parle d'amplifier quand il s'agit, en fait, de remplacer !) : les vidéos de Facebook sont intégrées dans le Total Rating Points (TRP) de Nielsen. Nielsen, de facto, légitime la stratégie publicitaire de Facebook. Stratégie semblable à celle développée par Google en Allemagne et en France pour substituer un peu de YouTube à un peu de TV.

En même temps, eXelate, qu'a racheté Nielsen en mars 2015, collabore avec PushSpring ("audience data for a mobile world") afin d'accroître sa couverture avec des données mobiles, essentielles pour comprendre les consommations vidéo.

Les concurrents de Nielsen
  • comScore, qui a acheté Rentrak (732 millions de $), se positionne comme concurrent de Nielsen capable d'associer les mesures du numérique (Web, mobile) et celles de la télévision effectuées via un panel de set-top boxes dit "total home panel"(téléviseur, smartphone, tablette, consoles de jeux, etc.). Rentrak devient filiale de comScore. Le groupe publicitaire WPP, qui a investi dans les deux entités, possèdera 19,9% de l'ensemble quand l'opération sera finalisée, courant 2016.
  • Symphony Advanced Media, créée en 2010 (Californie) développe une source unique multi-écrans. Mesure à base de panel. L'audience est recueillie au moyen d'une appli de smartphone. Tests en cours avec NBCU, Viacom, Warner Bros., etc.
Les données : le développement de DMP (Data Management Platform)
  • Comcast, le plus important des MVPD se propose de vendre les données issues de ses set-top boxes. Les revenus d'une telle mise en vente peuvent être très élevés. Comcast a déjà refusé une offre de 100 millions de $ de Nielsen. Les données sont commercialisées sous la forme de tableaux de bord personnalisables. Elles sont déjà utilisées par NBCU (NBCU+ Powered by Comcast). Notons que le panel dont dispose Comcast est 1000 fois plus grand que le panel audimétrique de Nielsen (25 000 panélistes). Comcast suit le mouvement des entreprises de télécom qui vendent leurs donnés (Telecom Data as a Service, TDaaS) à SAP (Sybase), IBM, etc. (les évaluations de 451 Research). 
  • TiVo s'est associé à Viacom Research and Analytics (données d'audience et d'achat). Viacom utilisera les données de comportement enregistrées par TiVo (2,3 millions d'utilisateurs), une fois anonymisées, dans ses outils prédictifs : Echo Social Graph, Viacom Vantage, Velocity (il s'agit d'assembler, de tricoter des données ("knitting together"). Viacom compte une quinzaine de chaînes aux Etats-Unis (BET, MTV, Nickelodeon, Spike, etc.). TiVo a par ailleurs annoncé qu'il mettrait à disposition gratuitement ses données démographiques en 2016.
  • NBC Universal : plateforme lancée en janvier 2015, Audience Targeting Platform (ATP), pour une vingtaine de chaînes. Recourt, en plus de ses propres données propres (first-party) à des données tierces, Polk (automobile), Fandango (cinéma), Axciom, Experian...
  • Depuis le dernier upfront (première étape de la vente d'espace publicitaire TV, en mai), Turner BS, filiale de Time Warner, met en place une DMP (data-management platform), Data Cloud, pour une dizaine de chaînes (TBS, TNT, Cartoon Network, CNN, etc.). Intégration avec Krux, Oracle et Epsilon.