lundi 6 février 2017

Histoires de vies au cinéma : Neruda, Dalida


Deux nouveaux biopics en ce début d'année dans les salles de cinéma.
Des personnages, publics à différents titres. Vies parallèles, fictionnalisées de personnes illustres.
Dalida, "italienne de naissance égyptienne", chanteuse populaire, "romantique et bohème", des années 1960 aux années 1980. Sa vie est un "théâtre / roman" tissé de chansons à grand succès. Mais où le suicide rôde, qui finit par la rattraper. Ciao bambina... Restent son nom donné à une place à Montmartre et une statue. Pélerinage des fans.
N°31, janvier 2017.

Neruda poète du Chili, francophile, francophone, homme politique communiste, sénateur, militant anti fasciste, ambassadeur, internationaliste, victime du cancer et de Pinochet. Compagnon de route de l'Union Soviétique stalinienne. Beaucoup de points communs avec son ami français, Louis Aragon. "J'avoue que j'ai vécu", dira le poète, pour titre de son autobiographie (Confesio que he vivido. Memorias, 1974).

Deux vies toutes prêtes pour être dramatisées. Neruda (Pablo Parrain) est une sorte de film policier fictif qui mobilise les paysages de la Cordillère des Andes et les lieux où Pablo Neruda est traqué. Il est en train d'écrire son grand poème, Chant général (Canto General).
Dalida (Lisa Azuelos), raconte la légende d'un monstre sacré qui, de sa voix qui "roucoule", "avec le temps", chantera aussi Léo Ferré. On la voit lire L'être et le temps de Heidegger, mais elle déclare préfèrer l'être-pour-l'amour à "l'être-pour-la-mort". Décidément, le temps... Le fantôme d'Edith Piaf (cf. le film "La môme") est évoqué, rejeté. Destin de femme. Sainte Dalida ? Pourtant, Dalida n'a fait que 4 fois la une de Paris Match (Brigitte Bardot 39, Isabelle Adjani 32...).

Deux films hagiographiques (du grec agios," ἅγιος = saint, sacré).
Les médias n'en finissent pas de raconter des histoires de vie. Célébrités, people (gens célèbres pour être célèbres) aux millions de fans suiveurs (followers) ou héros ordinaires, soldats inconnus de vies si quotidiennes : prolongement de Nous DeuxVos Histoires, magazine bimestriel, publie des histoires vécues par des lectrices et des témoignages (Mondadori). Ce n'est plus "la vie des autres" qui fascine mais "vos" vies que racontent et mettent en valeur les romans photos. Objectif : créer une communauté ?
Les histoires de vie appartiennent logiquement aux méthodologies des sciences sociales. Les romans sont souvent des histoires de vie et peuvent relever aussi des sciences sociales (cf. les autobiographies ponctuelles d'Annie Ernaux, par exemple).

Signalons encore, à contre courant, l'essai subtile et savant de François Jullien sur la "seconde vie", qui inaugure l'âge du retrait, de l'accumulation, de la lucidité, "décantation" de l'expérience. Vieillir : on vieillit de très bonne heure. Helléniste et sinologue, l'auteur reprend l'histoire de la philosophie pour éclairer son propos. Epinglant les médias, dont le métier devrait être la lucidité ("la lucidité ne se fait que par forçage et démantèlement progressif de tout l'appareil discursif et idéologique par lequel tiennent à la fois la vie et sa vérité"). La "seconde vie" pourrait être ce mouvement de lucidité continu, dégagement plutôt qu'engagement grégaire, "ex-istence" : "la seconde vie est la vie qui s'est émancipée d'une première vie qui s'endiguait ou, pis encore, s'enlisait". Du bonheur de vieillir...

Références

Pablo Neruda, J'avoue que j'ai vécu, Paris, Gallimard, Folio, 538 p., Chronologie, Index.
Pablo Neruda, Antologia General, Real Academia, Española, Edicion Conmemorativa, 2010, indice onomástico, bibliografía, glosario, índice alfabético de títulos por obra, 714 p.
François Jullien, Une seconde vie, Paris, 2017, Grasset, 187 p.
Das Leben der anderen (la vie des autres), Filmbuch von Florian Henckel von Donnersmark, 2007, Frankfurt, Suhrkamp, 216 p.
"Annie Ernaux, écriture et socianalyse", MediaMediorum
Louis Aragon, Théâtre / Roman, Paris, 1974, Gallimard («Qu'on entende bien que, lorsque je dis le théâtre, le théâtre est le nom que je donne au lieu intérieur en moi où je situe mes songes et mes mensonges.»)

2 commentaires:

Mathilde Potier a dit…

N'est pas Jonathan Nolan qui veut ! En effet l'écriture d'un scénario original, d'une complexité hors norme et parfaitement cohérent n'est pas à la portée de tous.
Dès lors, afin d'éviter les remakes, ou les suites, le recours aux films Biopics permet d'avoir les grandes lignes d'un scénario. Ce type de long métrage est en plein essor depuis quelques années. A venir, des films sur Marie Curie (janvier 2018), Les Heures sombres se focalisant sur une partie de la vie de Winston Churchill (janvier 2018) ou encore First Man (octobre 2018), film retraçant la vie de l'astronaute Neil Armstrong, premier homme à avoir marché sur la Lune le 21 juillet 1969.

Pourquoi fait on autant de Biopics ? Pour les récompenses ? En effet, nul ne peut ignorer le lien entre les deux. De nombreux artistes ont vu leur performance récompensée par un César (Omar Sy pour Intouchable, Pierre Niney pour Yves Saint Laurent, Éric Elmosnino pour Gainsbourg, vie héroïque), ou un Oscar (Marion Cotillard pour La Môme, Jamie Foxx pour Ray ou encore Colin Firth dans Le Discours d'un roi).

Si certaines Biopics, comme celle que vous abordez (Neruda et Dalida), restent originales car peu traitées, il s'agit d'un genre selon moi, trop exploité. Prenons l'exemple de Winston Churchill: en mois d'une année, deux films relatifs à un moment de son existence, sont traités.
L'explosion de ce genre cinématographique reflète un manque de créativité et une volonté de ne pas prendre de risques car je ne peux pas croire que les meilleurs scénarios se trouvent dans la vie ou l'histoire de personnalités illustres, et l'existence de scénaristes tels Quentin Tarantino ou Woody Allen me le confirme.

Claire MAITROT a dit…

Il est intéressant de se questionner sur la multiplication de biopics, pourquoi ce genre de films attire tant le public aujourd’hui? La mode des biopics est-elle due à un manque d’imagination de la part des professionnels du cinéma?

Ces films concernent très régulièrement des chanteurs: « Barbara » (M. Amalric, 2017), « Dalida » (L. Azuelos, 2016), « La Môme » (O. Dahan, 2007), « Gainsbourg, Vie Héroïque » (J. Sfar, 2010), « Cloclo » (F. Siri, 2012), mais pas uniquement comme on a pu le voir avec les films suivants: « Neruda » (P. Larrain, 2016), « Yves Saint-Laurent » (J. Lespert, 2014) ou encore « Mandela: un long chemin vers la liberté » (J. Chadwick, 2013).

L’intérêt du public pour les biopics semble en constante croissance, mais la manière des réalisateurs de les traiter est très variable. Ainsi, contrairement à « Dalida », P. Larrain, le réalisateur de « Neruda » a pris le parti de relater la traque subie par l’écrivain à la fin des années 1940 d’une manière poétique dans laquelle la question de la véracité des faits devient secondaire, le réalisateur préférant mettre en avant le côté romanesque de cette course-poursuite.
Par ailleurs, alors que traditionnellement, ces films étaient proches des documentaires historiques permettant aux spectateurs d’avoir une idée précise de la vie de la personnalité concernée, aujourd’hui, les réalisateurs prennent très souvent le parti de traiter seulement d’une tranche de vie du personnage.

Près de 1000 films produits et rangés dans la catégorie « biopic » ont été répertoriés par Allociné entre 2007 et 2017. L’engouement du public pour ces films est à son maximum: en 2016, 126 biopics sont sortis en salle! Mais quelles sont les motivations des professionnels du cinéma? Pourquoi s’engagent-ils dans la réalisation de tels films?

Tout d’abord, l’intérêt premier semble être le fait que l’histoire existe déjà: nul besoin d’inventer, les personnages, les lieux et les histoires sont déjà connus. Par ailleurs, ce genre de films attire les producteurs dans la mesure où il est presque toujours certain qu’avec un biopic, on attirera un public large: tant les « fans » de la personnalité concernée que les spectateurs désirant découvrir une tranche d’histoire ou désirant voyager dans une autre époque. Enfin, les biopics sont souvent sources de prix. En effet, grâce à « La Môme » (O. Dahan, 2007), « Le discours d’un roi » (T. Hooper, 2011) ou encore à « La Dame de Fer » (P. Lloyd, 2011), Marion Cotillard, Colin Firth et Meryl Streep ont chacun reçu un Oscar du Meilleur Acteur ou de la Meilleure Actrice.

La mode des biopics est telle que même Netflix s’y est mis avec, par exemple, la série « The Crown » (P. Morgan) primée aux Golden Globes! Le phénomène des « histoires de vie » au cinéma n’est pas prêt de s’essouffler!