lundi 20 mars 2017

Télévision expérimentale ? Dé-montage de l'oeuvre audiovisuelle


Netflix travaillerait à deux nouvelles fonctionnalités qui pourraient, parmi d'autres, commencer de remettre en question la constitution finie et définitive de l'oeuvre télévisuelle ou cinématographique, en y introduisant flexibilité et personnalisation.
  • La première fonctionnalité est un dé-montage. Il s'agit de sauter les génériques de début, "séquences introductives", grâce à un bouton Skip Intro. Le statut du générique, parfois si long, est remis en question par les modalités de consommation de type binge-watching : une fois, à la rigueur mais l'imposer pour chaque épisode est insupportable. Evidemment, cela ne manquera pas de poser des problèmes de droit : le droit doit-il épouser les pratiques ou est-ce l'inverse ? Bataille perdue d'avance ! Le consommateur finit toujours par l'emporter, avec l'aide de la technologie (leçon réitérée par les adblocks).
  • La seconde fonctionnalité à laquelle travaillerait Netflix consisterait en un re-montage de l'oeuvre pour sa réception sur smartphone, support mobile avec petit écran ; il s'agit d'une sorte d'adaptation à la mobilité, aux écouteurs, à la taille de l'écran, extension du responsive design, en quelque sorte.
Après le choix de la langue, des horaires, l'audio-description, la sélection des sous-titres... Désormais les expériences télévisuelles sont de moins en moins partagées, de plus en plus personnalisées. La remise en question du côté mass média uniformisant de la télévision (broadcast), tellement dénoncé (par qui ?) a débuté avec le magnétoscope et se poursuit avec la vidéo à la demande (VOD) : le mass-media continue de se déliter... et avec lui la notion de grille, de chaîne, d'horaire...

Toutes ces variations de fonctionnalités sont fondées sur une exploitation des nombreuses données que Netflix recueille en continu auprès de sa centaine de millions d'abonnés (monitoring). Des expérimentations sont effectuées sur des échantillons d'abonnés (A/B testing avec échantillon de contrôle). Avec Netflix, la télévision passe à la data. Et à une nouvelle conception de l'évaluation de son audience (metrics), loin des enquêtes déclaratives. De l'observation à l'expérimentation en passant par les hypothèses, voici l'introduction à l'étude de la télévision comme science expérimentale !


Références :
L'avenir numérique des génériques
Navin Iyengar, "Netflix. Insider Stories at Canvas Conference, 2016"
Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865

3 commentaires:

Unknown a dit…

La seconde, plus qu'une fonctionnalité, ne serait-elle pas une nouvelle évolution du business model de Netflix ? Face à Studio+ et Blackpills, les acteurs vidéos se positionnent de manière franche sur le mobile first.

Unknown a dit…

La fonctionnalité de démontage qui consiste à faire sauter le générique "partie introductive" et la fonctionnalité de re-montage de l'oeuvre pour sa réception sur smartphone, support mobile avec petit écran peuvent être vu comme des atteintes au droit de la propriété intellectuelle et plus particulièrement au droit au respect de l'oeuvre.

Ce droit moral de l'auteur est prévue à l'article 121-1 du code de propriété intellectuelle: "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur. L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires." Par conséquent, ce droit permet à ce dernier ou à son ayant droit de s'opposer à ce que son oeuvre soit modifiée sans son accord. Ainsi, le fait de couper et d'enlever une partie introductive de l'oeuvre audiovisuelle est une atteinte au respect de l'oeuvre et donc au droit d'auteur.
De plus, le re-montage de l'oeuvre pour sa réception sur smartphone, support mobile avec petit écran est une adaptation à la mobilité, aux écouteurs, à la taille de l'écran. Cependant, cette adaptation peut nuire à la qualité de l'image et du son de l'oeuvre audiovisuelle.
Enfin, certains auteurs ne souhaitent peut être pas que leur oeuvre soit vu que sur des petits écrans, ce qui peut nuire à mon sens à l'expérience de perception de l'oeuvre. (nous n'avons pas la même perception quand on voit un film au cinéma et un film que l'on voit chez nous sur un écran plus petit).

Benjamin Mollié a dit…

Ces paramètres qui permettent de passer les génériques (ce qui facilite la captation de l'attention du consommateur) ou encore l'adaptation des formats au terminaux mobiles conduisent à détricoter les codes formels des oeuvres audiovisuelles.

La consommation de films et de séries se déplaçant de plus en plus sur les plateformes SVOD, autrement dit ce phénomène ne fera que se renforcer. On peut donc se demander si, à l'avenir, ce ne seront pas les contenus eux-mêmes qui finiront par s'adapter aux nouvelles pratiques en se transformant formellement. Serait-ce la fin des génériques pourtant signature quant à l'identité de l'oeuvre ?