mardi 26 septembre 2017

"When Calls the Heart" et "Chesapeake Shores" : deux séries dont on ne parle guère


On n'en parle guère, et pourtant... c'est aussi cela la télévision américaine.

De Hallmark Channel à Netflix
Pas de crimes, pas de drogues, pas de poursuites de voiture, pas de bande-son assourdissante, pas de scène "indécente" ou "obscène", pas de tatouages, pas de "gros mots"(profanity)... Des drames certes, séparations, divorces, maladies, accidents mais le cœur, la justice et la courtoisie triomphent. Pas d'Emmy Awards, bien sûr.  As American as apple pie : beaucoup de gâteaux, de pancakes et de cranberry muffins! Retours à la nature, mais à une nature domestiquée, urbanisée.
Séries reposantes. On dit "family friendly content". Reprises par Netflix.
Les deux séries ont été lancées par Hallmark Channel, la chaîne de Crown Media Family Network (propriété de Hallmark Cards Inc.). Hallmark Channel est diffusée par le câble et le satellite (par les MVPD donc) dans 89 millions de foyers américains (sur un total de 120 millions aux Etats-Unis).

"When Calls the Heart" a été lancée en 2014. La série se déroule dans le cadre de la conquête de l'Ouest américain, dont on peut suivre l'histoire, d'épisode en épisode : on voit arriver le chemin de fer, l'automobile, le téléphone... De nombreux plans de coupe montrent les montagnes, des couchers de soleil, superbes cartes postales invitant au voyage. L'institutrice est amoureuse d'un officier de la police montée canadienne (RCPM, mounties), parfait dans son bel uniforme rouge, fier avec son chapeau Stetson. Romantique et familial. Quelques méchants, quelques brutes et truands, beaucoup de bons. Des veuves courageuses, "mères courage et leurs enfants", enfants sages et studieux. Ville de mineurs (mais Coal Valley deviendra Hope Valley). Ce n'est pas Germinal, mais on songe aux débuts de "Coal Miner's Daughter" quand même... et, à peine, effleurée, à "la lutte du capital et de travail" (Emile Zola).
Un féminisme de bon aloi court discrètement dans toute la série : l'institutrice doit sans cesse revendiquer son indépendance et soutenir celle de ses élèves filles. Elle soutient aussi les revendications des femmes de mineurs, propage avec enthousiasme la culture scientifique et littéraire, s'initie au bricolage domestique. Déterminée à inventer sa vie, elle résiste à son propre père, riche notable citadin ; elle résiste gentiment et fermement aux traditions conservatrices de sa famille. Le maire est une femme et elle négocie habilement et fermement avec la société de chemins de fer.
Une cinquième saison est annoncée pour 2018. L'institutrice et l'officier vont-ils se marier ?

"Chesapeake Shores" a été lancée en 2016. La série se déroule sur la côte Est des Etats-Unis, dans une petite ville riche. Le thème est sentimental encore, mais contemporain (smartphone, avion privé, etc.). Une famille décomposée de cinq enfants, se reconstitue petit à petit, remettant de l'ordre dans la "confusion des sentiments" qui les a dispersés. Ici encore triomphent l'appel du cœur, l'appel de la "terre natale" et le courage des femmes qui ramène tout le monde à la maison, source du bonheur perdu. La série est diffusée le dimanche, en prime-time.
A nouveau, de superbes paysages, cartes postales de décors naturels, paisibles. Milieu élégant, aisé, poli, indulgent. Une vaste et belle maison donnant sur l'océan, une cuisine claire et spacieuse où toute la famille se retrouve pour le petit déjeuner. Quatre générations sous le même toit ! Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe...

Séries reposantes tissées de vie quotidienne et de ses petits drames. Pas de risque de distanciation, au contraire : mieux vaut s'identifier aux héros, modestes, trop humains. Chaque épisode résoud un conflit, un problème, tandis que courent quelques intrigues à long terme. Qui épousera qui ? Loin, très loin de "Game of Thrones", de "OINTB" ou de "Ozark", plus près peut-être de l'esprit de "Family Ties" (sitcom de NBC, 1982-1989).
Hallmark Channel viserait, ou du moins toucherait, le Midwest et le Sud américains plutôt que la côte Est et la côte Ouest (plutôt donc que Los Angeles, San Francisco, d'une part et New York, Boston, d'autre part). Le Los Angeles Times parle à ce propos de "cultural divide", le journaliste corrélant intuitivement le succès de la série à la carte électorale. Sociologie politique simpliste et peu convaincante. Netflix, à la tête de toutes données recueillies, doit en savoir tellement plus long !
Hallmark lance Hallmark Drama pour les MVPD et une chaîne OTT, Hallmark Movies ($5.99 par mois) le début octobre 2017, sur Amazon Channels ; directement aux consommateurs.


Références

Sur Germinal : voir Henri Mitterrand, "Zola à Anzin. Les mineurs de Germinal", in Travailler, 2002, N°7, pp. 37-51.

FCC, "Obscene, Indecent and Profane Broadcasts"

Le Pays du sourire (The Land of Smiles) !

lundi 18 septembre 2017

Concentrations à venir dans la télévision américaine ?


La question de la concentration est au cœur du débat télévisuel américain. Après l'administration démocrate qui freinait la concentration dans les médias classiques mais voyait d'un œil favorable l'émergence d'oligopoles numériques formidables (Google, Facebook, Amazon, Microsoft, notamment), l'administration républicaine semble prête à remettre en chantier les règles concernant la concentration dans la télévision traditionnelle (legacy media).
Le sujet passera probablement inaperçu en Europe car il s'agit de la concentration des groupes de stations de télévision (broadcast). Stations locales, bien sûr. Marché intérieur américain certes, mais qui fonde la puissance des acteurs américains sur le marché international.

Sinclair Broadcast Group est le plus important des groupes américains de stations ; il en possède 193 (source : SBGI). Il se propose de racheter le groupe Tribune Media Company qui en possède 54 (N.B. on compte 1 386 stations de télévision commerciale aux Etats-Unis). Une telle acquisition, pour 3,9 milliards de dollars, donnerait naissance à un groupe de télévision disposant d'une couverture technique de 72% des foyers TV américains (sans "UHF discount", mais 39% avec), présent dans 108 DMAs. (N.B. Une acquisition de même ampleur - Media General acquis par Nexstar / pour 4,6 milliards - a été approuvée par l'administration démocrate début 2017, mais elle se situait dans la limite légale des 39%). Concentrations horizontales.
L'audience de Sinclair est une audience locale pour des informations locales. En cas de fusion, sa puissance publicitaire totale (locale et supra-locale) ainsi que son poids dans les négociation des droits de retransmission (retransmission consent) avec les MVPD seraient déterminants. De plus, après la fusion ("post transaction"), le nouveau groupe Sinclair ("combined company") contrôlerait un grand nombre des stations affiliées au network FOX.
L'enjeu est donc significatif pour les médias locaux concurrents, presse, radio et télévision notamment. Comme Sinclair a la réputation d'être politiquement conservateur, les élus démocrates se sont mobilisés pour s'opposer à cette fusion. Une coalition d'acteurs économiques hostiles à la fusion s'est même créée (Coalition to Save Local Media).
Sinclair a déposé sa demande en juin 2017. La FCC a demandé le 14 septembre 2017 un complément d'information concernant les mesures envisagées pour se mettre en conformité avec les règles de concentration en cours (éventuelles reventes de stations, "divestiture"), les investissements (capital investments) que promet Sinclair pour améliorer la programmation des stations et la contribution de la fusion à la transition au standard ATSC 3.0. Qu'en est-il de l'intérêt général ("public interest") ?
La réponse de Sinclair est attendue pour le 5 octobre, à la suite de quoi le public pourra commenter.
  • Le débat enclenché pourrait conduire à la remise en cause de la limite imposée aux groupes en terme de taille (39% des foyers TV). Pour cela, la première étape consisterait à revenir sur le mode d'évaluation de la concentration et compter pour moitié seulement la couverture des stations UHF (principe dit "UHF discount"). Ce mode de calcul, mis en place en 1985, a été éliminé par l'administration démocrate en 2016, restauré par la FCC en février 2017 puis bloqué par le tribunal ("a stay of execution", D.C. Circuit Court of Appeals) en juin.
  • Cette acquisition pourrait déclencher d'autres mouvements ; on évoque un rapprochement entre le network FOX et Ion (qui pourrait reprendre les affiliations des stations Sinclair avec FOX). La discussion de l'interdiction dans un même DMA de contrôler une station de télévision et un quotidien régional (dite cross ownership rule de 1975) est également relancée. Enfin, la fusion AT&T / Time Warner (HBO, CNN, etc.) est toujours en cours d'examen au ministère de la justice (US Justice Department). Une acquisition dans les télécoms serait en cours : T-Mobile rachèterait la majorité des actions de Sprint à Softbank ; ensemble les deux entreprises compteront 130 millions d'abonnés (soit 28,8% du marché de la téléphonie mobile, mobile wireless market).
Ce débat, considéré avec quelque de recul, s'avère crucial pour l'économie nouvelle des médias, bien au-delà du marché américain.
La taille des groupes de télévision traditionnelle ne doit-elle pas être reconsidérée dès lors qu'il leur faut affronter la concurrence des Facebook, Google et Amazon ? Dans une telle perspective, la réflexion sur les concentrations dans les médias prend une nouvelle dimension. C'est aussi l'occasion de remettre en question la définition des taux de concentration et de l'univers de référence pour les médias, définitions souvent simplificatrices, sinon obsolètes, en période de mutation technologique.
Assistons-nous à une augmentation de la concentration dans le marché de la télévision ou, plus radicalement, à une adaptation de la réglementation de la concentration dans l'ensemble des médias à l'ère de la numérisation ? 

MàJ : septembre 2018. la fusion envisagée n'aura pas lieu ; Tribune Media poursuit Sinclair en justice pour avoir entamé des consultations de manière unilatérale (dont la FCC).


Sur l'évolution des périmètres de concurrence dans les médias :

mardi 12 septembre 2017

Broadcast only, why not?


In the US the number of broadcast-only homes is increasing, reaching 15.9 million (there are 126 million TV households, according to Nielsen, commissioned by the broadcast company Ion Media). 13% of TV households do not pay for TV and there is no tax on TV set ownership like in most European countries ("redevance TV", "TV licence", Rundfunkbeitragetc.). In other words, 87% of American TV households pay for TV, one way or another, subscribing to cable or satellite.
The number of households which do not pay is increasing : up by 41% in the five last years, the study says. Why? Subscribing to MVPD (cable or satellite) has become very expensive, too expensive, especially for those who are not interested in watching sports (ESPN, etc.). There are more and more cord-cutters (do not subscribe anymore), not to mention cord-nevers, people who never subscribed or will never subscribe to any kind of MPVD (Mutiple Video Programming Distributors).

Why did Ion Media commission Nielsen for such a study? Ion Media owns 60 full-power broadcast stations, covering 98 million homes (present in the top 20 DMAs). Part of Ion Media turnover comes from advertising on its stations : it is crucial for Ion Media to highlight that only 16 million homes receive local stations (via a TV antenna or Over-The-Air, OTA). For advertisers, the only way to reach these broadcast-only households is to buy local time from a TV station.
Cord-cutters or cord-nevers can choose to watch Netflix for series and movies (without commercials, for a basic price of $8) and live TV and local news using an antenna (free). Given that the average cable TV bill is more than $100, cord-cutting seems to be a bargain even if you subscribe to more than one streaming service... Not surprisingly, cord-cutting is on the rise.

mardi 5 septembre 2017

Presse magazine de l'été : hybridations créatrices


Doctissimo le magazine. Prenez votre santé en main ! relancé en juin 2017.
Bimestriel, 5,9 €. 132 p.

Génération Féministe, hors-série du site ChEEks, publié en juillet 2017 et de l'hebdomadaire les Inrockuptibles,  8,5 € (3,99 € en version numérique, Flash Player...)

Oh !my mag, septembre 2017. Mensuel, 3 €. Groupe Prisma. 160 p. Dos carré.

TEMPO Santé by Notre Temps, lancé par le Groupe Bayard, 5,95 €, septembre 2017, 100 p.


On annonce la mort prochaine du support papier pour la presse. Annonce très exagérée ! Sa disparition, certainement pas, sa transformation, sûrement.
L'innovation dans la presse peut prendre la forme d'une hybridation créatrice numérique / papier.
Nous avons retenu pour illustration quatre des plus récents symptômes de cette transformation : d'un site à un magazine papier, d'un site à un hors-série papier, d'un titre confirmé à un titre nouveau, un spin-off, comme l'on dit en télévision.
  • Le lancement par Doctissimo d'un magazine papier. Bimestriel né du site de Lagardère Active avec Pressmaker. 65 000 exemplaires. Fort de sa réusssite numérique, Doctissimo affronte et complète une concurrence nombreuse et variée de titres traitant de la santé. A chacun sa manière d'être malade, à chacun sa manière de se soigner. "Tout savoir pour bien manger", est le thème du premier numéro : cuisine, alimentation et santé...  Le numéro 2, porte sur les médecines douces.  Le site Doctissimo s'est déjà associé au Monde pour lancer le bimestriel Sens & santé, en mars 2017 (100 p., 5,95€).
  • En septembre, toujours sur ce secteur général de la santé, le groupe Bayard a lancé le bimestriel TEMPO Santé by Notre Temps.  Préserver ma santé, c'est essentiel ! (tirage de 140 000 exemplaires). Ce titre remplace Notre Temps Santé (mais 2014). C'est un spin-off de  Notre Temps  (noter le "by Notre Temps"). Un titre établi (Notre Temps) se prolonge d'un titre nouveau, ciblé plus précisément, plus étroitement. Déclinaison... On compte sur un transfert de la notoriété de marque (tout en apportant une image différente), un transfert de lectorat peut-être pour vendre plusieurs produits au même client. 
  • Lancement fin juillet, par Les Inrocks, de Génération féministe, hors série papier commun avec version numérique du magazine numérique ChEEks. Début 2017, le magazine Les Inrockuptibles (racheté en 2009 par le groupe de Matthieu Pigasse) avait acquis ChEEks, lancé en 2013 par trois journalistes. Spin-off ? Test ?
  • Oh ! my mag, du groupe Prisma (Gruner + Jahr, groupe Bertelsmann) avec sa filiale Groupe Cerise acquise en mai 2016, est isssu de la fusion du magazine papier As you like (avril 2015) avec le site ohmymag (français, allemand). Tirage de 120 000 exemplaires.
Toutes ces hybridations, mouvements logiques, ont évidemment des raisons économiques. Ce sont des modèles économiques. La presse que l'on appelle - drôle de nom - "féminine" se cherche, et cherche, et semble revenir sans cesse à son point de départ, en modernisant, en régénérant, rajeunissant son héritage de rubriques et de thèmes.
Sa modernisation se situe plutôt dans l'articulation papier / numérique et dans l'articulation périodique / hors-série (régulier / événementiel, attendu / inattendu). Et dans la combinaison de ces caractéristiques.
Et les lectorats ? Dans les quatre cas, des femmes sont visées (l'image à la une indiquant le ciblage). Rajeunissements (Millenials), glissements de thématique.

L'exploitation des data devrait faciliter le travail d'innovation, d'enrichissement des supports existants. Les magazines actuels sont des mixtes d'opinions et de conseils pratiques ; d'une part la doxa des "influenceuses" (cf. FOLLOW me, étude de Prima, consacrée aux tendances et styles de vie), et, d'autre part, des données pratiques (conseils de spécialistes, loisirs créatitfs, santé, bricolage, guide d'achats, métier de parent, de grand-parent, hexis corporelle, calendrier...). Lire c'est faire !

La nouveauté se situe peut-être dans l'irruption du mot "féministe" donné pour titre à un magazine (à notre connaissance, pour la première fois. Source : Base MediaMediorum, plus de 37 500 titres). Positionnement : XXIème siècle sera féministe, affirme l'édito de Génération féministe. Pourtant, le féminisme n'est pas né d'aujourd'hui : génération Simone de Beauvoir et génération Simone Weil, Manifeste des 343 ?
La presse "féminine" traditionnelle est-elle conciliable avec le féminisme ?
Les femmes féministes en décideront...